La polémique enfle du côté du « blason » de la ville de Perpignan… de Perpignan ou de Perpinyà ? Perpignan la Catalane ? Perpinyà la Dynamique ? Perpignan la Rayonnante ? Pourquoi transforme-t-on un blason ? Peut-on effacer une partie d’un blason ? Comment lui donne-t-on une autre image ? Mais ce nouveau blason, est-il un blason chargé d’histoire ou un logo à vocation commerciale, comme serait une représentation d’une marque de sucre, d’automobile ou de vêtement ?
Un exemple : Millau.
En 1112, Douce du Gévaudan, la fille du vicomte de Millau, épouse Raimond Bérenger, futur comte de Barcelone ; il s’ensuit que Millau fait partie des domaines catalans. Leur petit-fils est Alphonse I° roi d’Aragon et comte de Catalogne. C’est lui qui, en 1187, accorde à Millau une Charte Communale, c’est-à-dire que désormais, ce sera un Consulat élu qui va administrer la ville, lever les impôts et appliquer la justice. C’est donc Alphonse qui a donné le blason aux Quatre Barres à Millau, c’est-à-dire la « bannière ». Voir, ci-dessous, le panneau fixé sur le mur de la vieille ville à deux pas de l’église qui immortalise l’événement.
Quand la ville de Millau est conquise par le royaume de France en 1271, son blason aux Quatre Barres a été modifié… sans supprimer le « passé ». Trois fleurs de lys ont été placées au-dessus du blason catalan. Ainsi l’histoire de Millau est inscrite sur le blason.
Autre exemple : la Sicile
Au XIII° siècle, le souverain de la Sicile était Manfred de Hohenstaufen, d’origine germanique ; son blason, un aigle, était donc le blason de la Sicile. Sa fille, Constance épouse Pierre II comte de Barcelone, roi d’Aragon et roi de Valencia ; Pierre sera couronné roi de Sicile en 1282 ; par cette union des deux Maisons, le blason sera modifié en « mariant » les deux symboles. Rien n’est supprimé.
Comment choisir le bon blason ?
Voyons l’exemple d’Opoul et de la famille des Perellós
Il y a quelques années, la commune d’Opoul Périllos a choisi un nouveau blason : un gril surmonté de flammes représentant le martyre de Saint Laurent (L’église d’Opoul est dédiée à Saint-Laurent). Le gril se retrouve aussi à Saint Laurent de la Salanque, à Saint Laurent de Cerdans, à Saint Laurent du Var, etc. Rien d’original. Pourtant si nous tournons les pages de l’histoire des Perellós, nous sommes étonnés de découvrir leur vitalité et leur rayonnement d’abord en Pays Catalan et aussi à l’international. Voici quelques pages sur les principaux acteurs de la dynastie.
Ici, dans l’exemple de la commune « Opoul Périllos » ce n’est pas un blason transformé comme celui de Perpignan ; il s’agit d’une nouveauté. Ce choix a-t-il été un bon choix ? A vous de voir suivant l’histoire compte tenu que la commune de Périllos n’a pas d’existence légale.
Quelques hauts personnages qui ont fait la réputation des Perellós.
* Ramon I° de Perellós, modeste seigneur de Perellós, épouse Na Peronela, la dame de compagnie de la reine Esclarmunda, femme de Jaume II, le premier roi de Mallorca. En 1323, le deuxième roi Sanç I° lui demande de participer à la tête de quelques cavaliers à la conquête de la Sardaigne. Pendant la traversée, il retrouve les vicomtes de Castellnou, de Fenollet, d’Hortafà, d’Oms et de Llupià, tous de la noblesse du Royaume de Mallorca.
* Son fils Francesc I° de Perellós (mort en 1369) devait être un homme brillant puisqu’il est nommé à Barcelona, conseiller du Comte de la Principauté de Catalunya et Roi d’Aragó ; il part en Sardaigne avec le comte de Cabrera, il participe à la bataille de Quart en 1354 ; il négocie la paix avec les rebelles sardes de Marià IV soutenue par le Génois Doria ; pour régler ces problèmes en Sardaigne, Francesc I° de Perellós est envoyé comme ambassadeur en France, à Gênes, en Castille et auprès du Pape. En 1365, il traite avec le roi de France pour lui demander que Du Guesclin et sa Grande Compagnie viennent combattre le roi de Castille, surnommé Pierre le Cruel, qui semait le désordre dans toute la Castille, le Portugal et l’Aragó ; Francesc est l’amiral d’une flotte de neuf galères françaises sous Charles V roi de France ; ces galères sont armées à Barcelona pour un voyage jusqu’en Angleterre.
* En 1378, un de ses fils, Miquel de Perellós (mort en 1427) est nommé, par le pape d’Avignon, archevêque d’Embrun en Provence.
* Ramon de Perellós (mort 1384) est viguier du Conflent ; le roi Pere III l’envoie comme diplomate en Angleterre, en Avignon et à Pise pour recouvrir les dettes impayées des Vénitiens ; il est nommé gouverneur du Rosselló (1376). [C’est Pere III qui a fait construire le Castillet à Perpinyà en 1368]
* Ramon II de Perellós. Joan I° comte de Barcelona, roi d’Aragon, roi de Valencià et roi de Sardaigne en fait son « camérier » ; Ramon II est nommé ambassadeur et part en Angleterre pour signer une alliance avec le duc de Lancaster ; il négocie la dot de la future reine Violent (Yolande en français) ; puis, il est gouverneur du Rosselló en 1389 ; capitaine de trois galères pour Benoît XIII, le pape d’Avignon ; en 1391, le roi Joan I° lui accorde une « promotion » ; Ramon II est nommé vicomte de Perellós ; en 1396, pour écarter une possible invasion, le roi l’envoie parlementer avec le comte d’Armagnac et le roi de France. Lors des Corts Catalanes (Assemblée de Députés) il est élu Député de la Noblesse au gouvernement de la Generalitat à Barcelona, de 1416 à 1419). Ramon meurt en 1419.
* En 1415, son fils, Ramon III de Perellós accompagne Joan le nouveau vice-roi de la Sicile à la tête d’une flotte de guerre au départ de Barcelona ; il est nommé gouverneur du Roussillon ; pendant ce temps, Alfons V el Magnànim, le nouveau comte-roi de Barcelona, veut s’emparer du Royaume de Naples… La ville de Naples est prise. C’est lui, Ramon III, vicomte de Perellós, qui pénètre le premier dans le Castell Novo ; reconnaissant, Alfons le nomme gouverneur de la Calabre (sud de la péninsule italienne).
Ramon retourne en Sicile et laisse à Lluís, son frère, la charge de gouverneur du Rosselló ; toujours nommé par le roi Alfons, Ramon III de Perellós est vice-roi de Sicile en 1441, c’est-à-dire qu’il est l’homme de confiance qui gouverne la Sicile alors qu’Alfons réside à Naples. Il meurt en 1444.
* Ramon de Perellós (1637-1720).
Autour de l’île de Malte, il participe aux batailles navales pour repousser les pirates berbères et turcs : il reçoit la Grand Croix des Hospitaliers de l’Ordre de Saint-Jean.
En 1697 le pape Innocent XII le nomme 64ième Grand Maître des Hospitaliers de l’Ordre de Saint-Jean de Jérusalem (qui deviendra l’Ordre de Malte). C’est un ordre religieux à vocation militaire.
Fin politicien, il organise des rapprochements entre la France, l’Espagne, l’Italie et la Russie orthodoxe.
Toujours dans l’île de Malte, à Floriana, sur une porte en forme d’arc commandée par Ramon Perellós et terminée en 1721, nous découvrons tout en haut, le blason aux trois poires des Perellós : c’est la Porte des Bombes (appelée à l’origine Porta dei Cannoni).
A l’intérieur, l’impressionnant mausolée de Ramon de Perellós, avec son blason aux « trois poires » surmonté d’une couronne.
Moralité. Ce qu’il y a de remarquable, c’est la constance de cette famille pendant cinq siècles. Fidélité au nom « Perellós », fidélité au prénom « Ramon » et fidélité au blason « trois poires ». Ce serait dommage que de si belles valeurs d’attachement aux racines tombent dans l’oubli. D’où l’importance du blason qui raconte l’histoire d’une cité. Ce qui signifie que lorsque dans un blason, des éléments sont effacés, une partie de l’histoire a été rayée.
Nous pourrions en dire autant avec Castellnou, Fenollet, Hortafà, Oms et Llupià.
Venons-en à Perpignan… Blason historique ou logo commercial ?
Le blason de Perpignan représente une bannière surmontée d’une couronne avec Saint Jean Baptiste et ses attributs, la croix et l’agneau.
Le blason de « Perpignan la Catalane » est devenu « Perpignan la Rayonnante ».
La croix a été supprimée…
Pour tous les Catalans et les Français… tout au long de l’année…
La croix a été supprimée dans la proposition du nouveau “blason-logo” de Perpignan. Certes, il faut appliquer la laïcité. Est-ce facile ? La plupart d’entre nous, nous célébrons en famille ou entre amis ce que l’on appelle des traditions.
* Le 6 janvier, jour de l’Epiphanie où se partage la galette des Rois ; elle entend commémorer les Trois Rois Mages qui apportent des cadeaux à l’enfant Jésus reconnu comme Messie : de l’or, de l’encens et de la myrrhe.
* Puis vient Pâques ; au départ, c’était une fête juive « le pessah » ; le lundi de Pâques est jour férié, pour tous les Français, fonctionnaires ou pas, quelle que soit leur confession c’est-à-dire qu’ils soient chrétiens, musulmans, juifs, bouddhistes, etc.; certains médias « masquent » cette fête chrétienne qui représente la résurrection du Christ, en la nommant « Fête du Printemps ».
* Plus tard, 40 jours après Pâques, c’est l’Ascension, jour où le Christ est monté aux cieux ; c’est aussi un jeudi férié pour tous les Français ; certaines paroisses protestantes ignorent cette fête.
* 10 jours après l’Ascension, c’est Pentecôte ; l’Esprit Saint tombe sur les apôtres et la vierge Marie ; lundi de Pentecôte est férié, mais depuis 2004, il peut être travaillé par certaines entreprises
* Arrive le 15 août. Que s’est-il passé ce jour-là qui est férié pour tous les Français ? On célèbre la mort, l’entrée au ciel et le couronnement de la Vierge Marie ; les protestants ne célèbrent pas le 15 août… mais c’est un jour férié pour eux aussi.
* Nous voilà à Toussaint, jour férié pour tous les Français ; détail le 1° novembre était la fête des Celtes qui annonçaient le nouvel an ; c’est l’époque où la Terre s’endort afin d’être prête pour le printemps et l’éclosion d’une nouvelle vie ; pour Toussaint, l’Eglise veut honorer la foule innombrable de ceux et celles qui ont été les témoins vivants et lumineux du Christ ; Toussaint est une fête pour les catholiques et les orthodoxes.
* Enfin, c’est Noël, le 25 décembre ; ce jour marque la naissance de Jésus ; c’est aussi un jour férié pour tous les Français quelle que soit leur confession et leurs professions ; certains monuments officiels (comme des mairies) exposent des crèches où s’éveille un « petit enfant » dans une étable. Ci-dessous la crèche exposée en décembre 2020 dans l’entrée de la mairie de Perpignan.
La couronne a été supprimée
Dès le XIII° siècle, Perpignan a été une ville royale ; c’est-à-dire qu’elle envoyait des députés – trois députés de la bourgeoisie – siéger aux Corts Catalanes (Parlement Catalan). Ces Corts comptaient, suivant les époques, cent ou trois cents députés ; la session durait en principe cinq semaines ; ce sont ces députés – Clergé, Noblesse et Bourgeois des villes royales – qui écrivaient les lois qui formaient les Constitutions Catalanes. Précisons que les rois de France gouvernaient par des Ordonnances. En Pays Catalan, les souverains appliquaient les lois écrites par les Corts Catalanes. Ces Corts se sont réunies à Perpignan : en 1350, en 1351, en 1356, en 1406, en 1473 et en 1479. Savez-vous que le magnifique bâtiment qui jouxte la marie était la succursale de la Generalitat de Barcelone ? Rappelons, que Perpinyà a été la capitale du Royaume de Mallorca (1276-1344).
En supprimant la couronne, Perpignan deviendra une ville anonyme et sans une histoire.
Qu’est-ce qui fait « rayonner » ?
Le rayonnement est un long processus de macération. Comme pour le vin, il faut un peuple, un territoire, un climat, de la patience, avec des moments de joie et de peine, des réussites et des échecs, des parents qui partagent avec leurs enfants et petits-enfants, des étrangers qui apportent et qui apprennent aussi ; ce sont des milliers de personnes qui échangent… Comment voulez-vous « rayonner » quoi que ce soit, si vous supprimez toute cette merveilleuse histoire et toute cette humanité ?