Joan Villanove - Opinions

Bilan de la francisation prescrite…

Nous commençons avec des citations de deux anciens ministres gaullistes, que l’on ne peut pas accuser de mauvaise foi.

Alexandre Sanguinetti (1913-1980)
Ministre sous le Président Pompidou, député UDR.
(Etait-il pour l’Europe des Nations… les vraies ?)

« C’est la centralisation qui a permis de faire la France malgré les Français ou dans l’indifférence des Français… ce n’est pas un hasard si sept siècles de monarchie, d’empire ou de république ont été centralisateurs : c’est que la France n’est pas une construction naturelle. C’est une construction politique voulue pour laquelle le pouvoir central n’a jamais désarmé. Sans centralisation, il ne peut y avoir de France. Il peut y avoir une Allemagne, il peut y avoir une Italie, parce qu’il y a une civilisation allemande, une civilisation italienne. Mais en France, il y a plusieurs civilisations. Et cela n’a pas disparu, vous pouvez en croire un député de Toulouse ».

Alain Peyrefitte (1925-1999)

 Rappelons qu’il a été : ministre de la justice, ministre des affaires étrangères et de l’environnement, ministre chargé des réformes administratives, ministre de l’éducation nationale, ministre délégué à la recherche scientifique et aux questions atomiques et spatiales, ministre de l’information, ministre délégué aux rapatriés.

« L’Etat français a accouché de la nation française. Elle est la création artificielle d’un Etat interventionniste, dirigiste, hostile à l’initiative, méfiant à l’égard de la province ».

 

Ainsi l’Etat Français dépense une énergie folle pour conserver, coûte que coûte, l’unité de l’hexagone en « recollant » sans arrêt les différents territoires. Nous pourrions dresser une interminable liste d’actions et de projets qui, vus de loin dans les pays voisins, n’ont aucun sens. J’en ai choisi un seul pour illustrer les énormes efforts, l’énergie, l’argent pour le réaliser… qui ne sert à rien, sauf à tenter de maintenir la cohésion d’un état qui est « une création artificielle ».

La Méridienne Verte. La moindre opportunité est saisie au vol.

Ainsi l’an 2.000 semblait une année bénie. Alors, dans les bureaux parisiens, on imagine une ligne qui partirait de Dunkerque pour passer à Prats-de-Mollo. Cette ligne sera matérialisée par une plantation d’arbres le long de son parcours.

De quoi démontrer l’unité de la France. Chaque commune traversée recevra un médaillon commémoratif métallique placé sur des bornes de béton d’un mètre de haut ainsi que des stèles sur les murs. Et sur certaines routes, des panneaux spécifiques seront érigés là où cette Méridienne Verte coupe le méridien de Greenwich. Cet événement capital, dans l’histoire d’un pays moderne, commence en grande pompe le 25 novembre 1998 avec une première plantation d’arbres réalisée en présence de la ministre de la culture Catherine Trautmann. Vous saisissez immédiatement la majesté impressionnante d’une ministre. Le 14 juillet 2.000, un pique-nique est organisé. À cette occasion, la Méridienne est matérialisée dans le ciel de Paris au moyen de deux lasers : le premier placé à l’Observatoire, dont le centre définit la longitude, le deuxième au Sénat, situé également sur le passage de la ligne imaginaire. D’un diamètre de 4 m et d’une portée de 1,3 km, leurs rayons aux couleurs de la Méridienne (couleur verte évidemment) illuminent le 6e et le 14e arrondissements pendant trois nuits consécutives, du 13 au 15 juillet.

Voilà de l’argent public plein placé.

Combien ? On ne le saura jamais.

Du nord au sud, la Méridienne Verte traverse 6 régions, 20 départements et 336 communes.

Communes traversées :

Hauts-de-France :
Nord : 11 communes
Pas-de-Calais : 31 communes
Somme : 24 communes
Oise : 26 communes

Île-de-France :
Val-d’Oise : 14 communes
Seine-Saint-Denis : 5 communes
Hauts-de-Seine: 1 commune
Paris : 1 commune
Val-de-Marne : 7 communes
Essonne : 20 communes

Centre-Val de Loire :
Loiret : 24 communes
Cher : 28 communes
Auvergne-Rhône-Alpes :
Allier : 6 communes
Cantal : 23 communes

Nouvelle-Aquitaine
Creuse : 21 communes
Corrèze : 11 communes 10

Occitanie :
Aveyron : 17 communes
Tarn : 25 communes
Aude : 30 communes

Pyrénées-Orientales : 11 communes

Inscription sur la borne de Prats-de-Mollo :

« Cette borne inaugurée le 18 juin 2000, marque le départ de la randonnée menant au col del Pal (2347 mètres) traversé par le Méridien de PARIS qui relie Dunkerque à Barcelone en passant par PRATS DE MOLLO LA PRESTE.

Amis marcheurs nous vous invitons à gravir le pic du COSTABONNE (2465 mètres) afin de rejoindre le kem érigé en l’honneur de la Méridienne Verte et de la célébration de l’AN 2000 »

 

Histoire de la francisation prescrite.

Rappelons que, dans les Provinces, c’est l’intendant qui coiffe la police, le procureur général, la justice, et les finances ! En 1672, l’intendant du Roussillon semblait tolérant vis-à-vis des « dialectes ». Il écrit : « comme il n’y a rien qui entretienne l’union et l’amitié entre les peuples des différentes nations que la conformité du langage… sa majesté a ordonné l’établissement de petites écoles dans la ville de Perpignan où les enfants de l’un et de l’autre sexe puissent être instruits… tant en langue française qu’en celle du pays et même en l’écriture des dites deux langues ». De courte durée ! Le 2 avril 1700, Louis XIV impose le français en clamant que l’usage du catalan est « contraire à l’honneur de la Nation Française et même à l’inclinaison des habitants desdits pays… »

En Catalogne (du Sud), c’est en 1825 que les livres en catalan seront interdits, en 1837 que disparaîtra la monnaie catalane et en 1865 que les notaires devront abandonner le catalan dans les actes.

Paris s’anime… avec Barère et Grégoire

Le 28 janvier 1794, le conventionnel Barère, l’un des pères de la Terreur, s’écrie à la tribune de l’assemblée… 

« Rome instruisait la jeunesse en lui apprenant à lire dans la loi des douze tables. La France apprendra à une partie des citoyens la langue française dans la Déclaration des Droits… Combien de dépenses n’avons-nous pas faites pour la traduction des lois des deux premières assemblées nationales dans les divers idiomes parlés en France ! Comme si c’était à nous à maintenir ces jargons barbares et ces idiomes grossiers qui ne peuvent plus servir que les fanatiques et les contre-révolutionnaires !… Laisser les citoyens dans l’ignorance de la langue nationale, c’est trahir la patrie. »

Mais pour un Alsacien, un Basque, un Catalan, un Corse, un Provençal, un Breton… quelle est sa patrie ?

Un temps, on aurait pu penser que l’abbé Grégoire (1750-1831) défendrait les langues. Hélas ! Il est inhumé au Panthéon : un honneur exceptionnel à la mesure de sa mission contre le patois.

Ecoutons cet évêque constitutionnel :

« Penserez-vous, m’a-t-on dit, que les Français méridionaux se résoudront facilement à quitter un langage qu’ils chérissent par habitude et par sentiment ? Leurs dialectes, appropriés au génie d’un peuple qui pense vivement et s’exprime de même, ont une syntaxe où l’on rencontre moins d’anomalies que dans notre langue… et probablement, au lieu de la langue des trouvères [musiciens du nord de la Loire-jv], nous parlerions celle des troubadours, si Paris, le centre du Gouvernement, avait été situé sur la rive gauche de la Loire… Ne faisons point à nos frères du Midi l’injure de penser qu’ils repousseront une idée utile à la patrie. Ils ont abjuré et combattu le fédéralisme politique ; ils combattront avec la même énergie celui des idiomes. Notre langue et nos cœurs doivent être à l’unisson ».

Le français dans le monde entier ? Pourquoi pas, il ajoute…

« Mais au moins, on peut uniformiser le langage d’une grande nation, de manière que tous les citoyens qui la composent, puissent sans obstacle, se communiquer leurs pensées. Cette grande entreprise, qui ne fut pleinement exécutée chez aucun peuple, est digne du peuple français qui centralise toutes les branches de l’organisation sociale et qui doit être jaloux de consacrer au plus tôt, dans une République une et indivisible, l’usage unique et invariable de la langue de la liberté ».

Il suggère d’exiger que des futurs époux, pour avoir le droit de se marier, aient à

« prouver qu’ils savent lire, écrire et parler la langue nationale ».

Ce ne sera pas facile… les gens « utilisant des dialectes » feront de la résistance !

L’enquête de Grégoire.

Le 4 juin 1794, la république de la Convention lance une vaste opération dont le titre est explicite :

« Rapport sur la nécessité et les moyens d’anéantir les patois et d’universaliser l’usage de la langue française ».

Grégoire découvre que le français se parle dans 15 départements sur les 83. Sur 28 millions de « citoyens », seuls 3 millions parlent le français, 6 millions l’ignorent totalement et les autres balbutient quelques mots

 

A Perpignan, c’est le Club Révolutionnaire qui a répondu aux 42 questions de l’enquête ; voici quelques réponses : « l’origine du patois remonte à peu près vers le X° siècle… on trouve dans le patois des termes énergiques qui manquent au français… il est usité partout… les campagnards ne savent pas s’énoncer en français… on a des grammaires et des dictionnaires de ce dialecte… »

A la question 30 : « Quels seraient les moyens pour détruire ce patois ? »

La réponse : « Pour le détruire, il faudrait détruire le soleil, la fraîcheur des nuits, le genre d’aliments, la qualité des eaux, l’homme tout entier ».

Tout est dit en quelques mots. Alors que les autres « provinces » en mettaient des pages et des pages !

Toute la période révolutionnaire fut atroce en France pour les enfants, car on voulut, en peu de temps, passer d’un enseignement tenu par le clergé (en grande majorité) à un enseignement entièrement laïque et en imposant une « nouvelle langue », considérée souvent, comme la langue de l’ennemi. À Perpignan, en 1836, une enquête montre que sur près de 1.000 garçons scolarisés, 695 bénéficient de l’enseignement et 314 le négligent totalement. Lisons le rapporteur : « Vous le savez messiers, notre département est arriéré, il a besoin d’instruction et de plus encore d’éducation… certes l’intelligence ne manque pas aux habitants du Roussillon, mais les lumières, les progrès de la civilisation pénètrent difficilement parmi nous.. » En 1886 : 61% des gens sont illettrés, 9% savent lire et 30% savent lire et écrire. Les lois de Jules Ferry en 1880, rendant l’école laïque gratuite et obligatoire (en langue française) reprenaient dans le fond les idées de la Convention. Calquée sur les départements, l’administration de l’éducation nationale sera centralisée et un inspecteur par département, à l’image du préfet, répandra la bonne parole. Dès lors les instituteurs vont être, tels les militaires qui ne discutent pas les ordres, les bourreaux des langues autres que le français.

Pas tous… heureusement, quelques-uns refusèrent d’enterrer le catalan. J’en retiens un :

Louis Pastre (1863-1927). Cet instituteur, devenu ardent défenseur de la langue catalane, était né à Clermont-l’Hérault. Il enseigne au Collège de Perpignan, puis à Ille-sur-Têt. En 1907, il crée une méthode mixte pour apprendre le français et le catalan à l’école primaire : « méthode des doubles textes »

Dans le « Bulletin du Syndicat des Instituteurs des Pyrénées-Orientales », nous lisons sous la plume de Boucabeille, un enseignant : « Dans la plaine du Roussillon, où la majeure partie des enfants que nous recevons, ignorent le français, je suis arrivé avec la méthode Davin-Pastre à des résultats surprenants… On enseigne tout en ayant l’air de s’amuser ». Louis Pastre propose alors un concours où les élèves devaient traduire des textes catalans en français ; il est arrêté dans son élan par une « interdiction ministérielle » (article 16 de l’arrêté du 18 janvier 1887 et l’article 13 du Règlement scolaire). Alors, le concours aura lieu en dehors des écoles publiques et privées, c’est-à-dire dans les familles avec autorisation des parents. Or, nous le savons traduire le catalan en français est un exercice très difficile car « l’esprit de la langue catalane est différent de l’esprit du français » : le français est bâti sur un fond conceptuel et aristocratique, alors que le catalan est au contraire imagé et populaire. Il y eut donc une distribution des prix en dehors de l’école avec un Palmarès publié : pour les enfants de 15 ans, puis ceux de 13 à 14, puis ceux de 11 à 12 ans. Bref, l’Etat français n’a pas fait de cadeaux.

Louis Pastre a laissé une œuvre importante et précieuse : « la langue catalane et son utilité pédagogique – critiques des traductions catalane du Songe d’Athalie – la version catalane de Peau d’Ane – la langue catalane populaire en Roussillon – le catalan à l’école – les catalanismes à l’école – orthographe et prononciation catalanes – leçons bilingues pour l’enseignement simultané du français et du catalan » … et, vraiment surprenant, ce qui prouve sa profonde culture, une étude « l’œuvre pédagogique de Ramon Llull ».

 

Enseignement dans les Pyrénées Orientales au XIX° siècle.

Même dans les contrées lointaines, dans les moindres villages la « rage du français » s’empare de tous les instituteurs.

On peut lire sous le préau de l’école d’Aiguatèbia (Conflent) :
« Parlez français, soyez propres ».
Voyons quelques exemples rapportés par Blanchon en Cerdagne.

L’instituteur de Porta écrit : « la gymnastique, au point de vue moral, développe chez l’enfant l’idée de la discipline et le prépare pour l’avenir à être un bon soldat et un bon Français. » [Prêt pour 14-18 ?]

L’instituteur d’Ur « puise dans les leçons d’histoire l’amour de la Patrie…, la France est forte et puissante par l’union de tous… ».

L’instituteur de Saillagouse écrit que « en les entendant chanter le drapeau de la France, mon cœur a battu plus vite » ; il donne à ses élèves en rédaction , le sujet suivant : « Lettre d’un jeune soldat à ses parents ; il leur dira qu’il vient de se battre contre les ennemis de la Patrie, qu’il a été blessé, mais que ce ne sera rien et qu’il est fier (comme ils doivent l’être aussi) d’avoir versé son sang pour la France ».

L’instituteur d’Odeillo affirme que « les termes grossiers [le catalan] dans le langage sont les premiers défauts à réprimer ».

L’instituteur de Caldegas a « exigé, bien entendu, qu’ils ne parlent pas catalan ».

Descendons dans la plaine. A Néfiach (mon village natal-JV) j’ai lu le cahier d’une élève de 11 ans écrit en 1888. Voici les titres des dictées : « Jeanne d’Arc – les Francs – les Arabes – la fraude – les Huns – les impôts (c’est normal dit-on) – la famine de Paris en 1789 – Turenne – Michelet – le service militaire – l’entrée de Charles VIII à Rome [note jv -expédition militaire dévastatrice] – Henri IV et Sully – les Invalides par Louis XIV (établissement fondé pour les blessés au service de la patrie, précise le texte) – la mort de Jeanne d’Arc – le patriotisme – le drapeau tricolore… » Dans une composition française, c’est-à-dire une rédaction, dont le titre était « le drapeau tricolore », l’élève avait écrit : « lorsque je vois le drapeau, je pense à ce que doivent avoir fait nos anciens pères pour réussir à lui donner ces trois couleurs glorieuses » ; mais probablement pas satisfait, l’instituteur corrige par « lorsque je vois un drapeau, je pense au passé, à ses défaites aussi bien qu’à ses victoires. Drapeau glorieux de mon pays, je t’aime parce que tu as été souvent victorieux ».

Bilan de la francisation…

En 1887, sur 613 institutrices et instituteurs, 212 n’étaient pas nés dans les Pyrénées Orientales… mais ils n’ont pas pu échapper à l’apprentissage du catalan pour se faire comprendre.

Irénée Carré (1829-1909). Ses méthodes seront utilisées pendant des années.

En 1892, l’Inspecteur de l’Enseignement Primaire écrit « l’enseignement du français fait des progrès sensibles. Les exercices du langage, d’après la méthode de Mr Carré, non seulement mettent rapidement les enfants des cours préparatoires en possession des mots français qui leur sont indispensables pour engager une conversation ; ils exercent encore une heureuse influence sur le développement de leur intelligence ; ils les habituent à voir et à observer et à exprimer sans gaucherie et sans hésitation le résultat de leur observation ».

Remarque : après nous avoir obligés à employer leur langue et à rejeter la nôtre dans le mépris, les Français vont se moquer de nous, avec tout ce qu’il y a de péjoratif, parce que nous la parlons avec un accent… différent du leur.

 Dès 1793, les révolutionnaires français pouvaient choisir l’une des trois directions :
  • Conserver toutes les langues et enseigner soit en français, soit en occitan, soit en breton, soit en catalan, etc. en faisant des traductions ???? confédération
  • Ou enseigner le français et la langue de la « région » (bilinguisme) ???? fédération
  • Ou tout détruire et imposer la langue française ???? centralisme

Cette troisième solution fut choisie par la République.

Revenons au titre de cette CARTA

Bilan de la francisation prescrite.

Nous avons souvent évoqué l’effondrement de l’économie de la « Province du Roussillon » dès qu’elle fut occupée par le royaume de France. Un Mémoire anonyme décrit les pouvoirs des Intendants : « devenus maîtres de tout, ils l’ont été des délibérations. Les âmes honnêtes se sont écartées de l’administration municipale. Il ne reste dans l’assemblée des communautés que ceux qui ont consenti à demeurer asservis ». Lorsque John Law fut appelé en France pour appliquer les solutions financières qui fonctionnaient déjà en Grande-Bretagne, il fut stupéfait par la gouvernance française : « Sachez que ce royaume de France est gouverné par trente Intendants. Vous n’avez ni parlement, ni états [régions autonomes], ni gouverneur ; ce sont trente maîtres de qui dépendent le malheur et le bonheur ».

Pour illustrer l’effondrement de l’économie, voyons les descriptions publiées au lendemain du traité des Pyrénées. Voici quelques extraits de l’étude réalisée en 1718 par Joblot, un français haut fonctionnaire et qui fut transmise à Louis XIV.

Prats-de-Mollo.

La cité compte 10 corporations, 142 maîtres et 37 apprentis. 

 « Il y a dans le terroir de cette ville deux forges de fer, qui rendaient autrefois 80 quintaux par semaine, mais elles chôment aujourd’hui parce que les droits que ce fer paye aux fermes [c’est-à-dire les impôts et taxes aux percepteurs] consume tout ce que les entrepreneurs pourraient y profiter. On compte que les draps ou le fer produisaient au pays environ 8.000 pistoles tous les ans et que pour les remettre sur le même pied et au même état, les habitants demanderaient seulement qu’on supprimât ce droit de boule pour leurs draps et qu’on amoindrit ou modérât un peu les droits de sortie sur le fer, ce qui ne diminuerait rien aux fermiers [percepteurs] eu égard à la consommation qui serait beaucoup plus grande. Il se fait dans cette ville environ 6.000 cannes de drap tous les ans, et ce commerce qui, autrefois, était florissant, diminue tous les jours, tant pour la misère du temps que par les droits de boule, que ces étoffes paient aux fermes du roi, et qui sont inconnus dans les autres provinces du royaume ».

[souligné par JV]

Villefranche de Conflent.

Toujours de Joblot.

« Les 13 corporations comptant 39 maîtres et 26 garçons végètent, et les manufactures végètent aussi. Il n’y a point de manufacture que celle des cuirs, établie au faubourg de cette ville et qui fournit aux lieux circonvoisins qui produit tous les ans pour 3.000 livres de marchandise qui consiste en toutes sortes de draps dont elle faisait commerce avec les étrangers, et l’on voit encore à Messine [Sicile] leur magasin de la fabrique des draps de Villefranche-en-Conflent. Les guerres et la liaison que ces peuples avaient avec la Catalogne les ont obligés à abandonner la ville, les gens de qualité qui y passaient les étés se sont retirés ailleurs, et il n’y a aucune ombre de commerce. Il ne serait pas difficile de rétablir les manufactures de Villefranche si Sa Majesté, pour engager les marchands à venir en cette ville, voulait leur accorder des privilèges et des avantages tels qu’ils conviennent aux négociants, lesquels pourraient s’établir au faubourg pour y travailler en toute liberté, la ville étant trop petite pour leur commerce ».

L’intendant Poeydavant écrit : « on prétend que les choses étaient bien différentes autrefois ». En 1781, l’intendant Saint-Sauveur écrit :

« Tous les vêtements des gens aisés viennent de l’extérieur, ainsi les meubles, qui avec les épiceries, le bois de construction et les toiles, font sortir annuellement beaucoup d’argent de la province. Si jamais les manufactures et le commerce, favorisés s’y établissent, le Roussillon deviendra une des provinces du royaume les plus intéressantes, à raison de son étendue : mais on aura bien des obstacles à vaincre pour y parvenir ».

Terminons avec les transports et les taxes.

Poeydavant poursuit :

« Dans les deux années 1776 et 1777, quelques 600 navires sont entrés dans Port-Vendres, mais seulement un quart a chargé ou déchargé des marchandises ; les autres étaient de passage et faisaient relâche ». On pourrait « favoriser le commerce du vin, mais les droits (un tiers du prix) qu’il paye pour sortir du Roussillon le placent à des prix excessifs, ce qui fait que des vins de qualité inférieure enlèvent les marchés ». Et Poeydavant précise que les droits sont le double de ceux du Languedoc, et le quadruple de ceux de la Catalogne ; les produits payent plus à la sortie de la province que ceux qui y pénètrent.

[Et ça continuera avec l’arrivée du train en 1871]

Ces mémoires remis à Louis XIV, n’ont eu aucun écho.

Pendant que le commerce, l’artisanat et l’agriculture s’effondraient partout, la répression violente contre les hommes de La Trinxeria continuait ; Vauban démolissait à tout va et construisait des ouvrages militaires ; si nous ajoutons que des milliers de soldats français occupaient le Roussillon en dormant chez l’habitant : 2.000 militaires à Perpignan, quatre compagnies à Prats-de-Mollo, etc. dans des conditions de promiscuité inimaginable. La nouvelle province française s’enfonçait lentement et inexorablement dans la pauvreté.

Moralité : notre « Catalogne du Nord » parle français… mais elle est devenue un territoire pauvre.

Allez… Terminons sur une bonne note !

Un voyageur l’abbé La Porte (1714-1779, né à Belfort) décrit en 1761 le village de Ria : 

« Je ne vous parlerais point ici, Madame, du village d’Arria, bâti en amphithéâtre sur la rive gauche de la Têt, à une demi lieue ouest de Prades, et où l’on ne voit rien de remarquable. Mais il mérite d’être connu, pour avoir produit une famille, qui a été la tige des anciens comtes de Barcelone et d’Aragon. Cette maison a donné des rois à la Castille, à la Navarre, à la Sicile, à l’île de Majorque, des souverains à la Provence et à une partie du Languedoc, & des reines à la France, à la Castille, au Portugal et au royaume de Naples. Les princes qui règnent actuellement en France, en Espagne, à Naples et à Parme, en descendent pas les femmes. C’est ici un point d’histoire qui n’a jamais été traité, qui peut être ignoré, et dont la province du Roussillon doit se glorifier ».

Joan Villanove 

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