Ce lundi 13 janvier le président du Parlement européen David Sassoli lors de la reprise des sessions de travail a souhaité la bienvenue aux deux nouveaux élus, Carles Puigdemont et Toni Comín, l’ex président de Catalogne et son ministre de la santé, exilés en Belgique depuis novembre 2017. Le même président du Parlement confirmait également que le troisième élu indépendantiste catalan, l’ex vice-président de la Generalitat, Oriol Junqueras, cessait d’être député européen ce même mois de janvier du fait de sa condamnation par le Tribunal suprême espagnol.
La question catalane et la crise institutionnelle espagnole ont ainsi fait leur entrée ce début 2020 au cœur des institutions européennes à Bruxelles. Entré au Parlement européen devant des centaines de Catalans qui avaient fait le déplacement et devant un pool de journalistes et de photographes de toute l’Europe, dès le premier jour, Carles Puigdemont, a dénoncé lors de ses interventions les décisions illégales de la justice espagnole qui a condamné Oriol Junqueras et l’a empêché de prendre ses fonctions de député européen. Le président catalan en appelle aux institutions européennes pour défendre les droits fondamentaux de ses citoyens et les principes de la démocratie. Au grand dam des élus de droite et d’extrême droites espagnols (PP, Ciudadanos et Vox), les deux élus catalans ont dénoncé les irrégularités d’une Espagne « qui se situe tous les jours davantage elle même en dehors de l’UE ». Les indépendantistes ont d’ores et déjà annoncé qu’ils n’auront de cesse de travailler au sein des institutions européennes pour faire reconnaitre le droit de la Catalogne à décider de son indépendance et de faire condamner les violations des droits et des principes démocratiques que l’Espagne utilise depuis deux ans pour endiguer le mouvement indépendantiste catalan.
Une « guerre des tribunaux » en perspective
La situation est actuellement inédite: d’une part les exilés catalans sont à l’abri des tribunaux et de la répression espagnole qui entendent toujours les faire extrader et ont demandé dès cette semaine la suspension de l’immunité parlementaire des députés, et d’autre part les politiques et leaders sociaux restés en Espagne sont toujours derrière les verrous, voient leur immunité bafouée et sont démis de leurs charges électives. Oriol Junqueras malgré son élection, son immunité parlementaire et malgré la confirmation de sa condition par le Tribunal européen de Luxembourg, s’est vu privé de son mandat et de sa liberté par des tribunaux espagnols que semblent ne plus reconnaitre les cadres juridiques européens, ni même les décisions des tribunaux supérieurs. Junqueras a bien entendu annoncé un recours devant le Tribunal de Luxembourg pour défendre sa condition de député et obtenir ainsi sa libération, voire l’annulation de sa condamnation considérée par de nombreux juristes comme illégale. Certains annoncent une « véritable guerre des tribunaux » qui commence et qui va décider qui de Madrid ou de Bruxelles est détenteur de la légalité et de la justice. Il n’est pas sûr que l’Espagne sorte gagnante de cette bataille et plusieurs juristes et politiques – le dernier ce mercredi le tout nouveau vice président Podemos du gouvernement espagnol Pablo Iglésias – prédisent une « catastophe » et une « humiliation » de la justice espagnole.
Un tournant semble être en cours en Espagne avec le dialogue qui est enfin en train de s’organiser entre socialistes et indépendantistes catalans, en même temps que se met en place le gouvernement d’union de la gauche – une première depuis la fin de la dictature. Ce nouveau rapport de forces et cette nouvelle dynamique entre gauche espagnole et indépendantistes catalans – sous le feu nourri et constant de la droite et de l’extrême droite que ce soit dans l’arène politique ou depuis les instances judiciaires – sont en train de produire un effet, de générer une perspective sinon de solution aux projets souverainistes catalans, du moins d’instauration d’un espace d’échange politique. Ce contexte va mettre rapidement à l’épreuve la sincérité des intentions socialistes qui vont devoir se prononcer sur la répression judiciaire toujours active. Vont-ils, avec la droite et l’extrême droite, voter en faveur de la suspension de l’immunité des indépendantistes à Bruxelles? Pour le moment ça ne semble pas être le cas. Leur gouvernement est en jeu et la droite la plus extrême menace d’être l’alternative. Cette semaine Sanchez a répondu à la décision de démettre le président de la Generalitat qu’il ne voyait pas d’inconvénient à se réunir avec lui et que Quim Torra était toujours son interlocuteur. Bien loin du Sanchez qui se vantait de ne pas décrocher le téléphone quand le président catalan essayait de le contacter. Mais les indépendantistes qui n’ont pas confiance dans les socialistes, ont promis d’être vigilants et très attentifs au respect de l’accord passé.
Carles Puigdemont en Catalogne Nord
Dans cette situation, Carles Puigdemont semble devoir être plus en sécurité sous la juridiction de l’UE (hors Espagne). Il a annoncé cette semaine qu’il préparait pour le mois de février son retour en terre catalane – à Perpignan, du côté nord de la frontière. Un immense meeting est en cours d’organisation par le Conseil pour la République, et le maire de Perpignan, avec le soutien de nombreux autres maires, de députés et de sénateurs, a informé qu’il apportait son soutien aux prisonniers politiques catalans et qu’il mettrait tout en œuvre pour faciliter la visite du président Puigdemont. Les conditions ne sont pas encore remplies pour que Puigdemont puisse fouler le sol espagnol – les tribunaux n’y respectent toujours pas les principes basiques de la justice – mais il prévoit de pouvoir sous peu aller rendre visite aux prisonniers politiques. Optimisme ou jeu politique? La feuille de route de l’indépendantisme catalan n’a jamais été aussi loin, l’objectif de la république et de l’indépendance est plus que jamais d’actualité.
Alà Baylac-Ferrer