Face à l’indépendance, les entrepreneurs catalans entre crainte et espoir
Le 04 mars à 10h50 | Mis à jour le 04 mars
Des boissons estampillées aux couleurs du drapeau catalan, des alcools baptisés du nom de héros de la région, une bière dont l’étiquette appelle à voter pour l’indépendance: sans complexes, le chef d’entreprise catalan Ramon Carner fait de ses opinions politiques une arme commerciale.
Depuis 2007, cet entrepreneur agroalimentaire de Sant Feliu de Codines, au nord de Barcelone, vend une large gamme de boissons, sodas, gin tonic ou cava, le “champagne” catalan, revendiquant l’indépendance. Un argument de vente brandi avec succès, qui a permis de compenser les pertes essuyées par d’autres gammes de produits, frappées par la crise et la chute de la consommation. Fondateur du premier lobby de chefs d’entreprise catalans pro-indépendance, Ramon Carner, à 47 ans, ne doute pas un instant de la viabilité d’un Etat catalan. Les convictions de cet indépendantiste de toujours ont grandi à mesure que se tendaient les relations entre la Catalogne et le pouvoir central, sous l’effet de la crise économique qui a alimenté le sentiment d’injustice dans la région.
“La seule solution pour qu’il y ait de l’emploi et que l’économie fonctionne est que les ressources de la région restent ici, et que nous devenions un Etat indépendant“, estime Ramon Carner, dans la boutique de Sant Feliu de Codines d’où il contrôle son petit conglomérat, employant 16 personnes. Très impliqué dans ses affaires, l’entrepreneur est en contact permanent avec son réseau de clients et de fournisseurs, implantés dans toute la Catalogne. “Je me déplace à travers la Catalogne pour mes affaires et je suis témoin des problèmes que rencontrent les petites et moyennes entreprises. Je vois les zones industrielles vides. Je vois les jeunes étudiants contraints d’émigrer parce qu’ils ne trouvent pas de travail”, raconte-t-il. “Quand tu vois tout cela, tu te rebelles”.
Pourtant, l’aspiration à l’indépendance ne fait pas l’unanimité chez les chefs d’entreprise. Certains s’inquiètent du processus amorcé par le président nationaliste Artur Mas, qui a convoqué pour le 9 novembre un referendum d’autodétermination, jugé illégal par le gouvernement espagnol. “Si la Catalogne vit cette insécurité politique pendant un certain temps, les entreprises partiront, les investissements s’effondreront. Si nous devenons indépendants, nous nous retrouverons hors de l’Europe au moins durant un bon moment”, regrette Carmen de Tienda, propriétaire d’une compagnie de taxis de Barcelone. Un secteur qui vit principalement du tourisme, explique-t-elle, et d’événements comme le Congrès mondial de la téléphonie mobile, qui s’est tenu fin février dans la capitale catalane. “Dans une Catalogne indépendante, je ne crois pas que Barcelone recevrait des activités comme ce congrès, ni autant de touristes. La ville perdrait une grande partie de son potentiel”, ajoute Carmen de Tienda.
Dans ce climat d’incertitude, Joaquim Gay de Montella, le président de la principale confédération patronale de Catalogne, Fomento del Trabajo, a appelé au dialogue entre Barcelone et Madrid pour créer une stabilité politique susceptible d’encourager la reprise économique de la région. Au dernier trimestre de 2013, le produit intérieur brut de la Catalogne a crû de 0,4%, deux fois plus que celui de l’Espagne. La région a terminé l’année avec un chômage de 22,3%, contre 26% de moyenne nationale. De plus, la Catalogne, qui pèse pour un cinquième du PIB de l’Espagne, est numéro un national pour les exportations et le tourisme, deux des moteurs de l’économie espagnole. “L’économie qui progresse le plus en ce moment dans le sud de l’Europe est l’économie catalane”, clamait le 12 février Artur Mas.
La crise économique et l’appauvrissement généralisé de la population ont alimenté ces dernières années le malaise de la Catalogne, qui affirme contribuer plus au budget de l’Etat qu’elle ne le devrait et chiffre à 16 milliards d’euros par an le manque à gagner qu’elle subit. Le refus, en septembre 2012, du chef du gouvernement espagnol Mariano Rajoy d’accorder à la région l’autonomie fiscale élargie qu’elle réclame, a radicalisé le sentiment indépendantiste. Et ce “pacte fiscal” trouve des défenseurs jusque chez les plus réticents. “Je veux pour la Catalogne la plus grande quantité d’argent possible, parce que je crois que c’est un moteur de l’Espagne”, affirme Carmen de Tienda.