L’ESPAGNE SE FERME, LA CATALOGNE S’OUVRE (Imma Tubella)
L’ESPAGNE SE FERME, LA CATALOGNE S’OUVRE
10 février 2014
Par IMMA TUBELLA
Après le 11 septembre dernier et le succès de la Voie catalane vers l’indépendance, j’ai eu des discussions franches avec mes collègues du Collège d’études mondiales à Paris. Ils me disaient ne pas comprendre pourquoi, après avoir réussi une transition exemplaire qui a fait de l’Espagne une démocratie ouverte et moderne, les Catalans avaient décidé de s’enfermer dans un repli dangereux sur la tribu au moment même où l’Europe semble retourner en arrière avec l’apparition de mouvements populistes et l’augmentation progressive de l’extrême droite. Au total, quatre mois de discussions passionnées au cours desquelles je dois avouer que, malgré moults exemples, données et arguments, j’avais fait peu de progrès.
Jusqu’à ce que les actions récentes du gouvernement espagnol ne changent complètement la donne et ne renversent la situation. Tant et si bien que c’est eux maintenant qui me demandent une explication sérieuse et un débat ouvert sur le sujet. L’Europe ne comprend pas le retour en arrière sur l’IVG, l’exclusion des sans-papiers des soins de santé ou le refus espagnol de dialoguer sur la tenue d’un référendum, sur la modification des structures de l’Etat ou sur la discrimination fiscale dont souffre la Catalogne.
L’Espagne a choisi de se replier, de s’enfermer sur elle-même, faisant preuve d’un autisme que personne ne comprend. Et c’est précisément à cause de ce repli que l’opinion publique internationale commence à comprendre et donc à accepter que la Catalogne veuille s’ouvrir vers d’autres horizons. L’Espagne se ferme, la Catalogne s’ouvre. Cette démarche opposée de la Catalogne commence à être perçue non pas comme une réaction « tribale », mais comme un net désaccord sur le modèle de pays et de société. L’Espagne s’est engagée dans un dangereux retour en arrière tandis que la Catalogne choisit d’aller de l’avant. L’Espagne a bien du mal à comprendre l’Europe et les transferts de souveraineté, car elle a toujours confondu nation et État, État et pouvoir absolu. La Catalogne est déjà plus que rodée aux transferts de souveraineté, et il semble bien qu’une majorité de Catalans préfère maintenant faire des transferts de souveraineté vers l’Europe plutôt que vers l’Espagne. La Catalogne est politiquement plus mûre, elle a adhéré très tôt aux idées des Lumières, ce mouvement intellectuel qui avait pour but principal de vaincre l’obscurantisme et de promouvoir le savoir pour lutter contre l’intolérance et les abus de l’Église et de l’État. Voltaire, admiratif, écrivait en 1751 dans Le Siècle de Louis XIV que « La Catalogne, enfin, peut se passer de l’univers entier, et ses voisins ne peuvent se passer d’elle ». En revanche, l’Espagne avait pris le parti de la monarchie absolue des Bourbons et ne fit pas le choix des Lumières. Seuls quelques petits groupes d’intellectuels espagnols choisirent de se distinguer du conservatisme et de la paralysie des structures de pensée et tentèrent de lancer un mouvement de modernisation du pays, mais ils étaient peu nombreux face aux partisans du despotisme, sans aucune volonté de transformation sociale.
La Catalogne est dans un processus d’autodétermination parce qu’elle veut se gouverner et construire un pays neuf, moderne, avec un projet de progrès ouvert à tous ses citoyens, et la force de ce processus réside précisément dans sa nature pacifique, ouverte et optimiste. Pour l’heure, nous venons tout juste d’ouvrir la voie en suivant ces principes, mais si nous y restons fidèles, nous réussirons, et nous pourrons peut-être même être perçus comme un modèle.