1 . Le nazisme
Après guerre, l’Allemagne a organisé avec les alliés le procès de Nuremberg. Il a été possible d’expliquer pourquoi le nazisme était né, comment il avait pris racine, comment il s’était développé, comment il s’était emparé du pouvoir et comment il avait conduit le monde à la deuxième guerre mondiale. Le tribunal a tracé une ligne rouge : le Mal suprême a été défini et donc, il sera reconnaissable si les circonstances s’y prêtent dans l’avenir.
Le procès a été aussi un moyen de se protéger dans l’avenir ; c’est aux Femmes et aux Hommes de lever le doigt, de crier et de se mobiliser si le danger fasciste menace à nouveau l’humanité.
Le verdict du 1 octobre 1946 : douze peines de mort et des peines de prison. Certes tous les nazis n’ont pas été condamnés (des dizaines de milliers auraient dû être emprisonnés) mais, le nazisme, ce système effroyable, a pu être disséqué.
2 . Le franquisme
De loin, le visiteur aperçoit l’immense croix de pierre de 150 mètres de haut qui domine l’ensemble. Construit et creusé par 2.700 travailleurs pendant 17 ans.
Le 7 avril 1960, le pape Jean XXIII éleva la crypte au rang de basilique mineure. Il ajoute :
« l’Espagne qui a porté la foi à tant de nations veuille aujourd’hui continuer le travail pour que l’Evangile éclaire les chemins… phare de l’expansion missionnaire… »
Exhumation.
En ce 24 octobre 2019, soit 44 ans plus tard, Franco est exhumé pour être enterré au cimetière de Mingorrubio. Pour certains démocrates, il n’aurait jamais dû y être enterré. Paul Preston, historien anglais, spécialiste de l’Espagne, déclame dans un récent interview que son « corps aurait dû être jeté à la mer » Certes, ajoute-t-il, Franco reposait à côté de républicains (environ trente mille), mais les cadavres avaient été volés sans l’autorisation de la famille. Pour lui, la « Valle des los Caídos » devrait se transformer en musée permanent de mémoire qui exposerait les méfaits du franquisme pendant une quarantaine d’années : incompétence, corruption, violence, pauvreté. A la mort du dictateur, la fortune du caudillo s’élevait à 400 millions d’euros en monnaie actuelle.
On ne peut pas dire que l’exhumation se déroula dans la discrétion. Compte tenu du lourd passé du dictateur, il a eu droit à certains honneurs… le rassemblement du public avait été interdit… mais, au dernier moment, le Tribunal de Justice de Madrid a supprimé l’interdiction. A l’arrivée au cimetière le cercueil a été salué par le signe fasciste du bras tendu, aux cris de « viva Franco », en chantant l’hymne franquiste « Cara al Sol », en brandissant des drapeaux fascistes dans une exaltation que les pays démocratiques ont trouvé alarmante; la presse étrangère mentionne ces faits sans équivoque accompagnés de photos.
En Espagne, le franquisme n’a pas été jugé. Ce qui fait qu’il peut survivre en pleine impunité. Pourquoi? Par facilité, par négligence, par appréhension? Cela ne risquait-il pas de diviser la « nation », si chère aux centralisateurs? Il faut unir et non diviser la « nation ». Or un procès désigne les coupables et dénonce le système toujours prêt à renaître… Ainsi, année après année, la douleur des innocents et des familles décimées ne fait que grossir. On le sait: un jour ou l’autre, les affaires resurgissent.
Les enfants volés : procès en cours.
Un système bien huilé. Lors de l’accouchement, les femmes étaient soumises à une anesthésie générale; au moment du réveil, on leur annonçait que le bébé était mort-né. Les médecins déconseillaient à la maman désespérée de voir le bébé mort en prétextant qu’elle allait augmenter sa souffrance. Parfois, la maman insistait; alors on lui montrait un bébé mort conservé dans un congélateur… Evidemment, toujours le même. Parfois, on simulait un enterrement. En fait, l’objectif était de punir les opposants au régime franquiste qu’on accusait de transmettre le «gène rouge». Puis, il y avait aussi les enfants nés dans une famille pauvre et les enfants conçus hors mariage, c’est-à-dire « sans éducation morale ». Ensuite, l’enfant était confié, c’est-à-dire vendu, à une famille franquiste, « bien sous tous rapports ».
Photo gauche : ces pratiques ne pouvaient se faire qu’avec la complicité du personnel hospitalier, sous la protection des autorités religieuses, notamment dans des maternités gérées par des institutions catholiques.
Photo droite : infirmières saluant Franco à la fin de la guerre civile.
Manifestation, à Madrid, au 1er jour de ce procès historique. Le parquet a réclamé onze ans de prison à l’encontre du docteur Eduardo Vela, aujourd’hui âgé de 85 ans.
Selon les recherches, on a estimé que de 1940 à 1950, ce serait plus de 30.000 enfants ainsi « volés » à leur mère. Aujourd’hui, certains historiens n’hésitent pas à avancer le chiffre de 300.000 bébés volés. Parfois, la mère « adoptive » sur son lit de mort avoue à son enfant « adopté » l’origine de sa famille. Ainsi, dès les années 80, on voit des adultes en larmes embrasser leur vraie maman.
La tête de ce trafic à Madrid était la religieuse Maria Gomez Valbuena, mais elle est morte avant d’être jugée. Ce système, certes plus discret, a duré jusqu’en 1987, sous un gouvernement démocratique: incroyable!
Le premier procès a eu lieu en 1982… mais aucune des 2.000 plaintes n’a abouti: c’est l’impunité totale, selon la loi d’amnistie votée en 1977. Cette loi (qui s’applique aussi aux tortures) n’a pas pu être réformée: à Madrid, les principaux partis de droite (PP et Ciutadanos) ont voté contre, ainsi que le PSOE, Parti Socialiste.
Plaintes pour tortures : procès en cours.
Un mouvement juridique s’étend maintenant à toute l’Espagne. Mais en 2010, pour avoir enquêté sur les crimes du franquisme, le juge Baltasar Garzón a été suspendu de ses fonctions au sein de l’Audience Nationale (la plus haute juridiction pénale en Espagne).
Crimes contre l’humanité? Pour cela, il faut prouver que ces actes «ne seraient pas isolés mais qu’ils aient été commis dans le cadre d’un plan généralisé et systématique de la part des autorités». De toute façon, ces nombreux actes de tortures sont prescrits au bout de dix ans.
En fait, selon des juristes internationaux, il est prouvé par de nombreux témoignages, que la torture était généralisée pour tout prisonnier politique. Enfin, deux mots sur les nombreuses fosses communes laissées dans l’oubli: des centaines de milliers de victimes.
Ajoutons que le gouvernement de Madrid a fondé en 2007 une loi sur la « Mémoire Historique »… mais les résultats sont minimes. Fin juin 2019, un nouveau directeur a été nommé. Attendons pour vérifier si « les bases de la récupération de la dignité des victimes du franquisme et de la Guerre civile » seront appliquées…
Aux élections de novembre 2019, Vox – parti d’extrême droite – a eu 52 députés élus au Parlement espagnol.
3. Le pétainisme
La guerre éclate. En quelques mois, les armées allemandes envahissent le nord de la France. Au mois de juillet 1940, l’Assemblée Nationale (569 pour et 80 contre) et le Sénat donnent tous les pouvoirs au maréchal Pétain à une majorité écrasante: il a 84 ans. Il s’installe à Vichy, en zone libre, et s’entoure de son gouvernement. Il met en place un régime anti démocratique, sans constitution, sans contrôle parlementaire: c’est «l’Etat français». Nous sommes dans une dictature. Pétain détient tous les pouvoirs: il nomme les ministres, les secrétaires d’Etat, etc. Il promulgue seul les lois. Pétain décrète donc la «Révolution Nationale» en s’appuyant sur trois principes : «Travail, Famille, Patrie» et «Gardez votre confiance en la France éternelle». Les collaborateurs seront nombreux et ils encouragent les populations: collaboration idéologique avec le RNP (Rassemblement National Populaire 30.000 membres), économique (banques, industries), artistiques (écrivains, chanteurs…), dans la presse, et au quotidien (trois à cinq millions de lettres de dénonciation à la Gestapo dans l’espoir d’une récompense).
Le « Pétainisme » s’est éteint à la fin de la guerre. Pouvait-on lancer une salve de plaintes dans une opération de justice? Cela n’a pas été fait: ne pas diviser la nation! Seul Pétain sera jugé.
Lois antisémites.
Voyons quelques dates des décrets antisémites dont la publication s’étale du 3 octobre 1940 au 11 décembre 1942, soient au total 27 décrets en deux ans.
- Premier décret du 3 octobre, publié le 18: les juifs sont exclus de la fonction publique de l’Etat, de l’armée, de l’enseignement et de la presse.
- Mai 41: 119 universitaires sont exclus, et peu de temps après 125 autres se retrouvent au chômage;
- plus tard, ces lois seront appliquées dans les colonies.
- 194: juifs exclus des professions commerciales ou industrielles;
- loi d’aryanisation;
- députés et sénateurs juifs déchus de leur mandat;
- juifs interdits dans les professions artistiques;
- réglementation tatillonne sur les professions exercées par les juifs: sage-femme, pharmacien, dentiste.
- Le dernier décret du 11 décembre 1942: loi imposant aux juifs de faire apposer la mention «juif» sur leur carte d’identité.
Jusqu’à ces dernières années, on pensait que Pétain n’était pas concerné par les lois antijuives. Jusqu’au jour où, en 2010, des chercheurs ont découvert les documents annotés de la main de Pétain (ci-joint).
Pas de doute : il a lui-même augmenté et durcit les interdictions.
L’Ordre de la Francisque.
Pour obtenir la décoration, il fallait être parrainé par deux personnes d’extrême droite du mouvement de la Cagoule. (* voir liste fin de l’article)
Après guerre, la liste des adhérents au pétainisme – notamment ceux qui avaient été décorés de l’Ordre de la Francisque – n’a pas été publiée. Elle resta confidentielle pendant des années. La médaille rappelait la hache à double tranchant des féroces guerriers francs.
Le candidat devait « présenter des garanties morales incontestées et remplir deux des conditions ci-après : avant la guerre, avoir pratiqué une action politique nationale et sociale, et conforme aux principes de la Révolution Nationale ; manifester depuis la guerre un attachement actif à l’oeuvre et à la personne du maréchal Pétain ; avoir de brillants états de services militaires ou civiques ».
Le jury comptait 12 membres nommés par Pétain. Le demandeur écrit de sa main : « Je fais don de ma personne au maréchal Pétain, comme il a fait don de la sienne à la France. Je m’engage à servir ses disciples et à rester fidèle à sa personne et à son oeuvre ». Pétain a distribué 2626 francisques, dont à trois femmes. C’est ainsi que, en mars 1943, François Mitterrand reçoit sa médaille numéro 2202. Les personnes, politiques, artistes, entrepreneurs, etc. qui ont été décorées de l’Ordre de la Francisque ne pouvaient ignorer les lois et les décrets antijuifs signés par Pétain dès 1940, ni la rafle du Vel d’Hiv en 1942, ni le sabordage de la flotte en 1942.
Seul Jacques Chirac a osé…
Les 16 et 17 juillet 1942, c’est l’effroyable Rafle du Vel d’Hiv : plus de 13.000 personnes juives (de la France occupée et de la France du régime de Vichy) dont un tiers d’enfants, sont arrêtées (avec participation active de 450 policiers et gendarmes français) et emprisonnées dans le Vélodrome à Paris et dans des conditions sordides: pas de nourriture ni d’eau potable, toilettes rapidement inutilisables, éclairage violent…
Le 26 août 1942, René Bousquet organise la rafle de 10 000 Juifs étrangers de la Zone Libre. Trois médecins et une dizaine d’infirmières seront autorisés à intervenir dans le Vel d’Hiv. La plupart des juifs seront conduits à Auschwitz: seule une centaine survivra à la déportation.
Le 16 juillet 1995, une stèle a été apposée sur le mur qui rappelle cette date peu digne de la France. Jacques Chirac, président de la République, a prononcé un discours :
« Il est dans la vie d’une nation, des moments qui blessent la mémoire, et l’idée que l’on se fait de son pays. Ces moments, il est difficile de les évoquer, parce que l’on ne sait pas toujours trouver les mots justes pour rappeler l’horreur, pour dire le chagrin de celles et ceux qui ont vécu la tragédie… il est difficile de les évoquer, aussi, parce que ces heures noires souillent à jamais notre histoire, et sont une injure à notre passé et à nos traditions. Oui, la folie criminelle de l’occupant a été secondée par des Français, par l’Etat Français… ce jour-là, le 16 juillet 1942, quatre cent cinquante policiers et gendarmes français… L’horreur ne faisait que commencer… »
Evidemment, c’est mieux que rien du tout, et déjà mieux qu’en Espagne. Pour la France, ce n’est pas facile d’assumer son histoire… mais peut-elle y échapper?
Le sabordage : pas de coupable ?
Lors de l’armistice du 22 juin 1940 signé par Pétain, la flotte française en rade de Toulon était placée sous l’administration de Vichy. Mais Anglais et Allemands la convoitaient !
L’amiral Laborde aurait pu passer au service des Anglais ; d’un autre côté, il ne voulut pas être accaparé par les Allemands. Or, les forces alliées étaient déjà en Afrique du Nord. Que faire ? Il décida de saborder sa flotte le 27 novembre 1942 :
Les derniers trains des déportés : qui conduisait les trains?
En 1944, la région du nord retrouve sa liberté grâce au débarquement des alliés en Normandie; dans la ville de Loos près de Lille, plus de 1.200 résistants et patriotes sont emmenés, par voie ferrée, dans des wagons à bestiaux, dans la prison en Allemagne; pour rassembler les prisonniers, les autorités civiles françaises avaient fourni l’essence aux SS.
Un autre train, avec plus de 2.000 personnes (résistants, droit commun, enfants) quitte Compiègne pour Dachau; cent personnes entassées par wagon à bestiaux sans eau, sans nourriture, sans la moindre propreté: un tiers disparaît pendant le transport qui a duré trois jours. Un autre train du 3 juillet 1944 quitte la France pour l’Allemagne…
Le procès.
D’abord l’épuration extrajudiciaire des collabos: pour 84 départements, on relève 8.775 exécutions sommaires. Puis les condamnés à mort par la Haute Cour de Justice (791) et par les Cours Martiales (769). Certaines condamnations commuées en prison. L’épuration aurait-elle fait 10.000 morts ? D’autres chiffres circulent. En valeur absolue, moins de Français furent internés que dans les Pays-Bas. Moins d’un Français sur 1.000 fut interné ou arrêté, ce qui reste très en dessous des taux du Danemark, de la Norvège, de la Belgique et des Pays-Bas pourtant moins impliqués.
Pétain est jugé en juillet 1945 pour intelligence avec l’ennemi et haute trahison par la Haute Cour de justice. Il est frappé d’indignité nationale, condamné à la confiscation de ses biens et à la peine de mort. Sa peine de mort est commuée en emprisonnement à perpétuité sur l’île d’Yeu par le général de Gaulle, alors chef du Gouvernement provisoire de la République française. Il meurt le 23 juillet 1951.
Voilà chers amis lecteurs, quelques pages douloureuses…
De quoi méditer en silence.
Quelques personnalités décorées de l’Ordre de la Francisque
le général Charles Huntziger – les Frères Lumière en 1941 – Raymond Marcellin, secrétaire général de l’Institut d’études corporatives ; ministre de seize gouvernements entre 1948 et 1974 – François Mitterrand, délégué du Service national des prisonniers de guerre, au printemps 1943, président de la République française de 1981 à 1995 – le (futur) général Raoul Salan, alors lieutenant-colonel à l’état-major du général commandant en chef à Dakar – Les généraux Ely et Cogny – André Basdevant, secrétaire du mouvement scout (qui sera aussi nommé Juste pour son action dans la défense du scoutisme juif) – l’acteur Charles Vanel – l’acteur Pierre Fresnay – Edmond Giscard d’Estaing, président des compagnies d’assurances « Le Phénix », et père de Valéry Giscard d’Estaing (Président de la République Française de 1974 à 1981) – Camille Laurens, qui siège à Vichy, futur ministre de l’Agriculture de la IVe République – l’homme de radio et télévision Jean Nohain – l’écrivain et journaliste Charles Maurras- l’écrivain Antoine de Lévis-Mirepoix – le général Maxime Weygand, et son épouse Renée – Jean-Louis Tixier-Vignancour, homme politique – Louis II de Monaco – l’écrivain et journaliste Jean Arfel alias Jean Madiran – l’abbé Fernand Maillet, directeur de la Manécanterie des Petits Chanteurs à la croix de bois – l’abbé Jean Rodhain, aumônier général des prisonniers de guerre et futur Secrétaire général du Secours catholique – Henri Giraud, secrétaire d’État, directeur général des travaux de Paris – Maurice Couve de Murville, homme politique, futur Premier ministre du général de Gaulle – Antoine Pinay, homme politique.