Lorsqu’Alfons V el Magnànim, comte de Barcelona, roi d’Aragó, de València, de Sardaigne, de Sicile et nouveau souverain du royaume de Naples, meurt à Naples en 1458, il a deux héritiers possibles : soit son frère Joan, soit son neveu Carles, prince de Viane, fils de Joan. Finalement, c’est Joan qui monte sur le trône et qui hérite des territoires de son frère en Méditerranée.Mais, père et fils ont l’un et l’autre des prétentions sur la Navarre qui n’a pas de souverain. Bref, Joan et son fils Carles sont « concurrents ». De plus, pour les Catalans, ressurgit l’ancien dilemme : faut-il favoriser l’expansion commerciale méditerranéenne ? Ou faut-il concentrer ses forces sur la péninsule ibérique ? Pour la majorité des Catalans, c’est la Méditerranée.
Lorsque le jeune Carles quitte Naples pour mettre le pied en Catalogne, Joan II son père, le fait emprisonner à Barcelona. Aussitôt, le gouvernement de la Generalitat, qui a obtenu, quelques années auparavant beaucoup plus de pouvoirs, lève une armée ; elle chasse Joan II du territoire catalan et elle fait libérer Carles. Dans cette première manche, le pouvoir de la Generalitat est plus fort que celui de Joan, nouveau comte de Barcelona.
En 1461, Carles meurt… mais dans le même temps, les paysans de « remença », pas totalement libres, se soulèvent. C’est la guerre civile : Joan II doit constituer une armée et combattre les troupes de la Generalitat. Où trouver l’argent ? Alors, il s’adresse à Louis XI, roi de France : le 9 mai 1462, c’est la signature d’un traité ultra-secret à Bayonne. Louis XI accorde au roi Joan II un prêt de 300.000 écus. Dans le cas d’un non-remboursement, le Roussillon et la Cerdagne seraient occupés et annexés. On comprend pourquoi l’accord devait rester secret : la Generalitat et les Corts Catalanes l’auraient refusé.
Malheur ! Le traité est rapidement divulgué : le roi Joan II et son épouse sont déclarés « ennemis publics ». Et aussitôt la guerre civile s’amplifie. Une armée française de 10.000 hommes tente de prendre Perpinyà. Mais, la bannière française est de tout temps détestée : « per els cathalans deu esser molt abhominada ». Les Perpignanais refusent d’ouvrir leurs portes. L’évêque fait dire que « as donariem al Turch que al rey de França ! », c’est-à-dire qu’on préférerait se donner aux Turcs plutôt qu’au roi de France. Alors, tous les villages environnants sont pris et pillés. Perpinyà tombe quelques mois plus tard, en 1463. On oblige les consols et les notables perpignanais, au nombre de cent, à venir à genoux, mains jointes et crier « Merci ! » aux vainqueurs.
Louis XI rappelle que sa grand-mère était catalane. Pendant ce temps en Catalogne, la guerre civile continue : Joan II assiège Barcelona ; en Rosselló, Bernat d’Oms et Damien Descallar sonnent la révolte. Finalement, Joan II entre dans la capitale catalane et annonce le pardon général. Et, en 1472, les députés des Corts Catalanes se réunissent et décident de reprendre le Rosselló. En 1473, Joan II pénètre enfin dans Perpinyà ; la paix est signée avec Louis XI…
Mais, au mépris de sa signature, le roi de France envahit une nouvelle fois le Rosselló. Et Perpinyà va subir un nouveau siège le plus cruel, le plus dramatique, le plus désespéré. C’est que, en quelques mois, la ville n’a pas pu panser ses plaies. L’armée française ne fait plus de quartier : les alentours sont brûlés… Depuis Barcelona, Joan II prépare la riposte ; il envoie un message et décerne à la ville le titre de « Fidelíssima ».
Finalement, la ville se rend aux Français ; les conditions du traité, accordées par ses officiers, sont avantageuses pour le Rosselló ou du moins acceptables… mais, à Paris, dès que Louis XI en prend connaissance, il est furieux ! Et il rédige de nouveaux ordres… brutaux et cruels ! Avec la volonté avouée de réduire à néant les comtés du Rosselló et de Cerdanya, de ne rien garder de ce qui existait. Sur un plan matériel, c’est la confiscation systématique des biens, la destruction de châteaux ; il débaptise Collioure qui prend le nom de « Saint-Michel »… Sur le plan humain : le gouverneur français s’oppose à l’élection des Consuls de Perpinyà… et c’est lui qui les choisit.
Le Castillet est transformé en prison destinée à retenir les Catalans : tourelles, mâchicoulis et de puissantes grilles sont placées sur les ouvertures intérieures, c’est-à-dire ouvertes sur la ville, pour repousser les Perpignanais menaçants dès la nuit tombée.
Ordres de Louis XIdonnés à Du Bouchage,
son nouveau gouverneur de Perpinyà,
le 25 mars 1475
- Chassez de Perpignan tant de gens que cent lances puissent maîtriser la ville…
- Ne leur laissez pas une seule arme…
- Essayez de faire la ville maigre de vivres, afin qu’il s’en aille beaucoup de gens…
- Prenez la garde des portes…
- Bâtissez une citadelle…
- Faites abattre tous les forts, excepté ceux de Perpignan, Salses, Elne, Collioure, Bellegarde, Laroque…
- Défaites tous les officiers de la ville, ôtez-leur leurs pouvoirs ; ne conservez que le lieutenant de justice…
- Chassez tous les nobles qui se sont armés pour le roi d’Aragon…
- Donnez leurs héritages, quelles que soient les promesses qu’on leur ait faites…
- Faites écrire sur un beau papier rouge le nom de ceux qui m’ont été traîtres ; et quand ils seront sur ce beau papier rouge, laissez-le à Bofill ou à celui que vous avez fait gouverneur, afin que si d’ici vingt ans, il en revient certains, on leur fasse couper la tête…
- Eloignez les moines catalans, enlevez l’évêque d’Elne de son siège…
- Privez les consuls de leurs autorités…
Puis, Louis XI propose de faire piller les maisons des riches et des nobles par « le menu peuple » qui, ainsi, s’attachera à la France. Que penser d’un roi qui traite ainsi ses nouveaux sujets ? Pourquoi détruire une nouvelle possession ? Pour quelles raisons son effigie est-elle sur la façade de la Préfecture ?
Médaillon de Louis XI sur la façade de la Préfecture comme s’il avait été le bienfaiteur du Roussillon.
Cette effigie date de 1863, quatre siècles après Louis XI.
De nombreux châteaux ont été rasés à cette époque par les troupes françaises.
Bref, quand Louis XI disparaît en 1483, son successeur Charles VIII signe le traité de paix avec Ferran II, le nouveau comte de Barcelona.
Encore en 1492, Guillaume de Caraman, le gouverneur français, jette en prison les consuls de Perpinyà, pourtant élus ; et il nomme lui-même les remplaçants !
Enfin, en 1493, le Rosselló et la Cerdanyà réintègrent avec soulagement la Catalunya. On peut lire dans les chroniques du curé de Ribesaltes :
« Feren grans alegrias y processó per tota la vila,
y donaren gracias a nostro Senyor
quels aviat trets de la captivitat… »
.. oui, libérés de la captivité
Aux Corts Catalanes de 1493, qui se tiennent à Barcelona, la noblesse du Rosselló est largement représentée. La vie reprend enfin…
Et aujourd’hui ? Rappelons un ordre de Louis XI :
« Essayez de faire la ville maigre de vivres,
afin qu’il s’en aille beaucoup de gens »
C’est fait ! Les « nobles esprits » ont quitté et quittent encore le Rosselló et la Cerdanya…
Joan Villanove