INFOGRAPHIE / VIDÉO – Jugé inconstitutionnel par Madrid, ce vote était symbolique. 80% des deux millions de votants se sont prononcés en faveur de l’indépendance de la région espagnole, tandis que les opposants ont boudé le scrutin.
«Je vous assure: j’en ai vu un. Il s’en vantait, en plus!» Au collège Emperador Carles, près de la gare de Sants de Barcelone, l’identification d’un électeur hostile à l’indépendance relevait ce dimanche de la chasse au trésor. Dans ce bureau électoral, comme dans les 1317 ouverts à travers la Catalogne, tout avait été disposé comme lors des élections légales. Neuf urnes avaient été installées dans plusieurs salles de classe. Les bulletins de vote étaient bien rangés devant les enveloppes blanches. La double question, en catalan et en espagnol, parfaitement lisible: «Voulez-vous que la Catalogne soit un État? En cas de réponse affirmative, voulez-vous que cet État soit indépendant?» Parmi la dizaine de personnes interrogées dans la file d’attente, toutes disaient répondre oui à ces deux questions. Selon des résultats provisoires diffusés dans la nuit, 80,7% des votants – environ 2 millions de personnes – se sont finalement prononcés pour le «oui» à l’indépendance. Quelque 5,4 millions de Catalans pouvaient en théorie participer au vote. Ce sont essentiellement des sympathisants de la cause indépendantiste qui se sont déplacés, tandis que les opposants ont boudé les urnes.Tout était organisé pour accréditer l’idée d’un scrutin libre, démocratique et ouvert. Au collège Emperador Carles, deux hommes portaient même un badge «observateur international». Ces deux professeurs – l’un de sciences politiques, l’autre de droit – de l’université du Pays basque, à Bilbao, répondaient à l’invitation de l’Assemblea Nacional de Catalunya (ANC), l’une des deux grandes associations indépendantistes qui ont mis leurs bénévoles au service de cet ersatz de référendum. «Nous observons si le scrutin respecte les critères habituels des pays démocratiques», explique Mario Zubiaga, le politologue. Le gouvernement régional catalan a aussi convaincu huit élus européens – dont le Vert français Gérard Onesta, conseiller régional de Midi-Pyrénées – d’apporter leur caution au vote.
Les observateurs ont dû toutefois surmonter quelques difficultés d’organisation. L’absence de listes électorales, d’abord. Du coup, lorsque l’électeur se présente, son numéro de carte d’identité est enregistré dans un ordinateur. Le programme informatique doit empêcher qu’une même personne puisse voter plusieurs fois. Un défaut de fonctionnaires, ensuite. Le scrutin est chapeauté par des volontaires, issus pour la plupart des rangs des deux grandes associations indépendantistes, l’Assemblea Nacional de Catalunya (ANC) et Omnium.
Ces manquements sont montrés du doigt par les opposants à la sécession. «C’est une grande farce», tranche Ferran Brunet, membre de Societat Civil Catalana. Ce professeur d’économie à l’Université autonome de Barcelone dénonce un vote «contraire à toutes les lois et à l’esprit de la démocratie» et dénonce «une question unilatérale, décidée par les nationalistes catalans». Le ministre de la Justice Rafael Catala a critiqué «un acte de propagande» «stérile et inutile».
Désintérêt des unionistes
Le gouvernement régional prévoyait d’annoncer les résultats définitifs au cours de la journée de lundi. Sur un corps électoral estimé par la presse – faute de listes – à 5,4 millions de personnes, 2 millions avaient voté dimanche à 18h. Le président de la région Artur Mas s’est félicité d’un «succès total».
Le désintérêt des unionistes pour les urnes n’inquiète pas les indépendantistes outre mesure. «On a demandé que tout le monde aille voter, justifie la présidente d’Omnium, Muriel Casals. S’il y a beaucoup de non, c’est un succès, cela voudrait dire que les démocrates catalans qui ne croient pas à l’indépendance veulent partager avec nous ce droit à voter. Mais je ne dirai pas que c’est un échec s’il y en a peu. Si quelqu’un ne reconnaît pas le droit à voter, c’est son problème!»
Les sécessionnistes ont beau jeu de dire qu’ils auraient aimé organiser un référendum en bonne et due forme, mais que le gouvernement espagnol le leur interdit. Théoriquement, le substitut de consultation a lui aussi été suspendu par le Tribunal constitutionnel sur demande de l’exécutif. Le gouvernement de Mariano Rajoy avait averti que le scrutin ne devrait pas se tenir dans des bâtiments publics. Et pourtant, la quasi-totalité des salles utilisées appartiennent au gouvernement régional et aux municipalités. La justice a cependant renoncé à ordonner le retrait des urnes. Les juges, saisis par deux partis politiques opposés à la consultation, ont jugé «disproportionnée» la demande de fermer les bureaux de vote.
Grand initiateur de ce référendum au rabais, après la suspension de la consultation en bonne et due forme, le président catalan n’a pas cherché à se dérober. «Si l’on cherche un responsable, je suis là!» a lancé Artur Mas. Une ironie qui risque de passer pour un défi à Madrid, où le gouvernement avait laissé entendre qu’il tolérerait une consultation si la responsabilité était déléguée aux associations indépendantistes. Mas a prévu d’écrire à Rajoy dans les prochains jours pour réclamer un vrai référendum. Quel que soit le résultat du vote, il tentera de capitaliser la mobilisation des indépendantistes. Le gouvernement Rajoy a toujours défendu une double réponse à la question catalane: le respect de la loi et l’ouverture au dialogue. Madrid, toutefois, n’a jamais transformé cette disposition à la négociation en une offre concrète.