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POLITIQUE | La Catalogne (I): la montée en puissance du souverainisme

16/06/2014 | En Catalogne, le souverainisme est majoritaire et l’indépendantisme gagne du terrain

La chaîne humaine pour l'indépendance de la Catalogne le dernier 11 septembre

Les sondages l’indiquent, des manifestations massives le reflètent: le souverainisme est majoritaire en Catalogne et l’indépendantisme gagne du terrain. Dans le contexte, une tradition historique de “catalanisme politique” et certaines décisions des pouvoirs de l’État entre 2010 et 2012. Notamment la négation de la notion juridique de nation à la Catalogne, le refus opposé à une proposition de collecte propre des impôts depuis Barcelone pour réviser la redistribution de richesse entre régions, et la remise en cause du rôle du catalan. En pleine crise économique et d’une corruption qui sévit au niveau de l’État comme en Catalogne, le souverainisme est également considéré par certains comme une voie de régénération.

 

Deux grandes manifestations ont eu lieu en Catalogne en faveur du souverainisme dernièrement. Le 11 septembre (festivité nationale de la région) de 2012, 1,5 million de personnes d’après la police locale et le gouvernement régional, 600.000 selon l’État, ont défilé à Barcelone convoqués lors d’une manifestation intitulée : “La Catalogne : Nouvel État de l’Europe”. Un an plus tard, une chaîne humaine pour l’indépendance a couvert le littoral catalan, avec 1,6 million de manifestants, selon le gouvernement régional, 600.000 d’après l’État.

Si l’on regarde les sondages, celui du Centre de Recherche Sociologique espagnol (CIS) réalisé après les élections régionales de novembre 2012 affirmait que 40% des catalans appuient l’autodétermination. Le Centre d’Estudis d’Opinió (CEO), l’équivalent catalan du CIS, a réalisé en décembre 2013 ( à ce momen-là  les souverainistes négociaient la question du référendum) un sondage affirmant que 49% des catalans étaient absolument d’accord avec une consultation d’autodétermination, 24% assez d’accord. Finalement, un dernier sondage du CEO élaboré entre fin-mars et mi-avril assurait que 47% des catalans voteraient pour l’indépendance lors d’une consultation le 9 novembre 2014, la date fixée par le gouvernement régional. (Pour le contexte politique actuel, voire la deuxième partie de cet article).

Quant à l’opinion de la citoyenneté au niveau de l’État, selon le sondage d’avril du CIS, 35,4% des questionnés veulent un statut des autonomies comme celui existant actuellement ; 20,9% préfèrent supprimer le pouvoir des régions ; 13,4% veulent plus d’autonomie pour les régions et 9,1% envisagent qu’elles puissent devenir un État indépendant.Contexte historiqueEn Catalogne, une tradition de “catalanisme politique” a commencé à la fin du XIX siècle. Sa revendication était la récupération de l’autonomie et les institutions propres que la Catalogne avait jusqu’au début du XVIII siècle en tant qu’État de la Couronne d’Aragon, intégré au royaume d’Espagne. En 1714, le roi Philippe V, vainqueur de la Guerre de Succession du trône de l’Espagne – un conflit européen entre les dynasties des Bourbons et des Habsbourg- a puni l’appui majoritaire de la Catalogne aux Habsbourg en supprimant les institutions de celle-ci.

Lors de la II° République espagnole, la région a réussi à récupérer son institution de gouvernement, la Generalitat, et a négocié (non sans obstacles) avec le gouvernement républicain de Madrid un premier statut en 1931 qui lui reconnaît des compétences propres. Avec le coup d’État et la dictature franquiste, la Generalitat a été supprimée et la langue catalane réprimée socialement et interdite aux institutions et dans l’éducation.

Une fois terminée la dictature, la Generalitat a été restituée et un nouveau statut a été approuvé suite à un référendum en 1979. Cependant, la demande de plus d’autonomie depuis la région ne s’est pas arrêtée, notamment quant à la collecte des impôts. En ce sens-là, en 2006, suite à un long processus de négociation, un nouveau statut catalan a été approuvé aux parlements catalan et espagnol et également par un référendum en Catalogne.

De ce moment là, et de quelques décisions des pouvoirs de l’État entre 2010 et 2012, date la progression souverainiste. D’abord, une sentence de la Cour Constitutionnelle, suite à des pourvois du PP –qui était dans l’opposition–, du Defensor del Pueblo (l’ombudsman espagnol) et de cinq régions, a supprimé une partie importante du dernier statut. Parmi d’autres décisions, la Cour a nié la notion juridique de nation à la Catalogne et le rôle principal du catalan dans l’éducation, en faisant valoir que que le castillan devait avoir le même statut.

Langue et financement
En 2012 la Cour Suprême a réaffirmé ce positionnement par rapport au catalan, bien que le système d’éducation, qui fonctionne depuis la fin de la dictature en Catalogne, garantit la même maîtrise du catalan et du castillan parmi les étudiants de la région. D’ailleurs, les résultats pedagogiques démontrent que le niveau de castillan des catalans est le même que celui des citoyens de la moyenne de l’Etat.Ecole Ramon Llull à Barcelone

Également en 2012, le gouvernement catalan a proposé à celui de Madrid une proposition de collecte propre des impôts, équivalent aux modèles du Pays Basque et de la Navarre. Ces deux communautés autonomes ont ce système fiscal car la Constitution leur reconnaît des droits historiques en tant que territoires « forales». Les « fueros » étaient des statuts de droits, de privilèges et de libertés de certains territoires conférés au long de l’histoire, d’abord par les seigneurs, puis par la couronne espagnole. Après la Guerre de Succession entre les Bourbons et les Habsburg, le Pays Basque et la Navarre ont conservé leurs « fueros » grâce à leur appui à Philippe V, contrairement à la Catalogne, à la Valence et la Majorque.

Ainsi, la mesure catalane, approuvée par la majorité du Parlement régional, visait a réduire le déficit fiscal de la région par rapport à l’État, c’est-à-dire, la différence négative entre les impôts que les catalans transfèrent au pouvoir central et le financement qui revient à la région (11.000 millions d’euros prévus pour cette année, le 5% du PIB catalan). Elle proposait également un système de solidarité fiscale proportionnelle entre les régions. Selon les données publiées en 2005, la Catalogne est la troisième région quant au déficit fiscal avec l’État le plus haut, derrière les Baléares et Madrid.

Cette mesure a été rejetée par le gouvernement central, avec le Partido Popular (PP) déjà au pouvoir. En revanche, le gouvernement régional catalan a décidé de convoquer des élections anticipées en novembre 2012 et a fait du  référendum sa nouvelle stratégie. CiU, le partie nationaliste de tradition de centre-droit (au pouvoir régional entre 1980 et 2003 et depuis 2010) a revalidé sa majorité, mais avec une perte significative d’élus en faveur d’ERC, formation de gauche et indépendantiste qui est en train de récupérer le grand soutien qu’elle avait a la région pendant la II République espagnole.

Le bond en avant de la revendication indépendantisteL’évolution des sondages du CEO set significative de la montée en puissance de la revendication indépendantiste.  Entre les années 2005 et 2010,  ils sont passés de 14% à 24% et ont fait un véritable bond pour atteindre 44% à la fin 2012.

Cette évolution a été interprétée par le politologue Lluís Orriols dans les collones du journal “El País” comme un réaction “thermostatique” des catalans à la sentence constitutionnelle qui a modifié leur statut, et également à la politique d'”annulation de facto” de l’autonomie fiscale des régions suite à la crise de la dette espagnole en 2012. L’historien Joaquim Coll, par contre, a argumenté au sein du même journal que le progrès souverainiste est le fruit d’un courant “populiste” qui offre une solution ” miraculeuse ” à la crise.

Au-delà des relations entre l’État et la Catalogne, le sociologue et politologue Josep Ramoneda a affirmé, également à “El Pais”, que le succès de l’indépendantisme c’est le fait d’être un projet politique dans un moment où il en manque, avec des gouvernements qui “dépolitisent” la réponse à la crise, en assurant qu’il n’y a pas d’alternative à l’austérité.