Non classé

Le Monde.fr

A Tarragone, l’Assemblée nationale catalane s’enflamme pour l’indépendance

LE MONDE |  |Sandrine Morel (Madrid, correspondance)

Des militants de l'ANC dessinent avec des bougies un "oui" à l'indépendance de la Catalogne, le 22 mars à Barcelone.

 

Dans les anciennes arènes de Tarragone, transformées en « palais des congrès » quand la tauromachie a été officiellement bannie de Catalogne en 2010, plusieurs centaines de personnes font virevolter dans les courants d’air les estaladas, les drapeaux indépendantistes catalans. Sur une estrade, les membres du bureau exécutif de l’Assemblée nationale catalane (ANC) se relaient pour lire la « feuille de route » 2014-2015, qui doit être approuvée par les militants. A intervalles réguliers, ils sont interrompus par les cris :in-de-pen-dan-cia (« indépendance »).

Pour l’ANC, qui tenait le 5 avril sa deuxième assemblée générale annuelle dans une ambiance d’espoir et d’euphorie mêlés, le vote des députés espagnols, mardi 8 avril à Madrid, ne changera rien. Les deux grands partis conservateur et socialiste ont décidé de rejeter le transfert de compétence qu’a demandé Barcelone pour pouvoir organiser un référendum sur l’indépendance. Mais pour l’association à l’origine des immenses manifestations des 11 septembre 2012 et 2013, la consultation populaire est imparable. « Contre la volonté démocratique et pacifique d’un peuple, il n’y a rien à faire », résume, devant la foule debout, Carme Forcadell, la présidente de l’ANC.

Devenue un acteur incontournable de la vie politique de la région autonome, l’ANC, née en avril 2012 et présente sur tout le territoire de la Catalogne à travers ses 520 assemblées territoriales, se sent suffisamment forte pour dicter au gouvernement nationaliste d’Artur Mas les mesures à adopter dans le cas – probable – où Madrid empêcherait la tenue du référendum sur l’indépendance, prévu le 9 novembre.

L’HYPOTHÈSE D’ÉLECTIONS RÉGIONALES ANTICIPÉES

Sa feuille de route est claire : si Madrid empêche la Catalogne de voter, il devra convoquer « le plus vite possible » des « élections plébiscitaires »afin d’obtenir une majorité en faveur de l’indépendance et déclarer la sécession de la Catalogne ; si la Catalogne vote en faveur de l’indépendance, la Généralité (le gouvernement catalan) doit annoncer l’indépendance au plus vite, la date du 23 avril 2015, jour de la San Jordi, le patron de la Catalogne, étant idéale ; si la Généralité renonce à convoquer le référendum, l’ANC demandera des élections régionales anticipées.

En dernier recours, elle demandera aux maires d’utiliser les municipales de 2015 pour proclamer l’indépendance « depuis leur balcon, comme ce fut le cas en 1931 pour la Seconde République ». Pour cela, elle pourrait compter sur l’Assemblée des municipalités pour l’indépendance (AMI), qui regroupe 687 des 945 communes catalanes.

« Ce plan alternatif ne dépend pas de nous, mais d’Artur Mas, mais nous pouvons faire pression sur lui, explique au Monde Mme Forcadell, tailleur impeccable et bijoux imposants. Jusqu’à présent, tout ce qu’il a promis, il l’a fait. Nous avons donc confiance », poursuit l’ancienne élue de la Gauche républicaine de Catalogne (ERC, nationalistes) à Sabadell et actuelle conseillère sur l’accueil linguistique dans les centres scolaires à la Généralité.

« MANŒUVRE CONTRE LA DÉMOCRATIE REPRÉSENTATIVE »

A Madrid, l’inquiétude sur le pouvoir qu’exerce l’ANC en Catalogne transparaît dans l’éditorial du 14 mars du journal ultraconservateur ABCdemandant au parquet d’interdire ce qu’il qualifie de « bras civil » de la Généralité, pour « appel à la sédition ». L’éditorialiste d’El Pais daté du 18 mars qualifie, lui, la feuille de route de l’ANC de « manœuvre contre la démocratie représentative ».

Le 24 mars, le syndicat d’extrême droite Manos Limpias a exigé qu’elle soit déclarée illégale pour « incitation à la sédition et malversation de fonds publics », bien qu’elle n’accepte pas de subvention publique et se nourrisse des généreuses donations de ses membres. Le résultat ne s’est pas fait attendre. En quelques semaines, le nombre de membres de l’ANC est passé de 15 000 à près de 30 000. Plus l’opposition au référendum est vive, plus le mouvement indépendantiste se renforce.

Artur Mas, qui appartient à un parti jusqu’à présent plus nationaliste qu’indépendantiste, s’est-il laissé déborder par l’ANC ou tire-t-il les ficelles en coulisses ? La Catalogne ne la finance certes pas directement, mais sa coalition, Convergence et Union (CiU, droite), a inondé durant des années les associations civiles de subventions pour la défense de la culture, de la langue ou des traditions catalanes, créant un terreau fertile à l’éclosion de l’ANC, qui regroupe les indépendantistes de tous bords.

« CATALYSER LES ATTENTES »

Son origine remonte aux consultations populaires organisées par des volontaires, entre 2009 et 2011, dans la majorité des communes de Catalogne. « Nous avons pensé que ces consultations allaient créer des attentes chez les gens qu’il fallait catalyser, explique Pere Puges, ancien architecte de 63 ans, militant pour l’indépendance et l’un des quatre membres fondateurs de l’ANC. Nous avons identifié 40 indépendantistes catalans reconnus et nous avons débattu sous des noms de code pour éviter les querelles de partis. Nous nous sommes rendu compte que, malgré nos différences, nous étions d’accord sur l’essentiel et en six mois nous avons rédigé notre déclaration fondamentale. »

Militants de CiU et d’ERC, nationalistes écologistes, indépendantistes anticapitalistes et déçus de la politique font cause commune dans les arènes de Tarragone, où résonne l’hymne de la Catalogne et s’élève maintenant uncastell, ces tours humaines traditionnelles de la région de Tarragone.

Artur Mas ne devait pas se rendre à Madrid mardi pour défendre son projet de référendum. En revanche, il a lancé un clin d’oeil à l’ANC, le 6 avril, en confirmant sa thèse : « On peut dire “non” à une loi, a-t-il déclaré. Mais on ne peut pas stopper la volonté du peuple de Catalogne. » L’épreuve de force avec Madrid ne fait que commencer.