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Une réponse aux déclarations de Viviane Reding a Barcelona

Barcelone, 28 février 2014

Le 23 février la Commissaire à la Justice, aux Droits fondamentaux et à la Citoyenneté et vice-présidente de la Commission européenne, Madame Viviane Reding, a eu l’amabilité de visiter Barcelone et d’exposer, directement, certaines des lignes prioritaires et des principales préoccupations de l’Union européenne, en ce moment tout particulièrement délicat de son histoire.

Dans ce document nous voulons soumettre à sa réflexion, et aussi à celle des citoyens en général, des précisions et reflexions suscitées par différentes interventions des assistants pendant le débat.

1 La volonté de dialogue des catalans

–  Les Catalans sont, depuis le moyen âge, comme dira plus tard Napoléon des Anglais, une nation de boutiquiers ». Nous avons toujours été disposés à nous asseoir, a négocier, à pactiser, loin des positions maximalistes. Les dernières décennies ont été caractérisées justement par la politique du “peix al cove”, la volonté “d’obtenir petit à petit des éléments concrets d’un projet global”. Mais pour arriver à un accord la volonté des deux protagonistes est nécessaire.

Concernant notre futur, les Parlements de Catalogne et d’Espagne ont mis en évidence des positions totalement antagonistes. Aux ‘Cortes’ espagnoles, le 26 février 2013, une motion demandant au gouvernement espagnol « d’entémer un dialogue avec le gouvernement de la Generalitat (gouvernement catalan) concernant la possibilité de célébrer une consultation / référendum auprès des citoyens et citoyennes de Catalogne pour décider de leur futur », recueille (sans comptabiliser les députés catalans) le vote contraire de 274 des 303 députés : 90 %. Le 27 février 2014, à nouveau, est refusée une motion allant dans le même sens par 187 votes contre, 42 en faveur et 103 abstentions (du PSOE).

De manière plus constructive, le 13 mars 2013 le Parlement de la Catalogne a adopté une motion identique par 104 votes sur 135.

– La réponse espagnole aux aspirations politiques de la majorité du pays n’a pas été qu’un simple refus. Son manque de volonté à dialoguer, se fait évident par son refus de réduire la sortie des fonts publics de la Catalogne à un rythme annuel équivalent à 8 % de son PIB. Celle-ci, en se perpétuant pendant des décennies, a réduit de forme persistante et accumulative la compétitivité et la croissance des entreprises installées en Catalogne, et explique la rétrogradation dans les classements des communautés autonomes, en terme de revenu par habitant. De plus, la Catalogne pâtit d’un grand manque d’infrastructures modernes (comme le retard dans le couloir ferroviaire méditerranéen et l’autoroute principale de connexion avec la France).

– C’est aussi évident, concernant l’offensive législative, juridique et politique contre la langue catalane, sur tous les fronts et tous les territoires, culminant avec la loi organique d’éducation imposée contre le reste de l’arc parlementaire, et contre les secteurs directement impliqués. Tout cela ne peut être interprété que comme une négation obstinée du dialogue.

– Cette offensive se manifeste aussi actuellement par des initiatives législatives venant de l’État afin de réduire les compétences dites autonomiques, dans des champs aussi variés que l’administration locale, le commerce, les télécommunications, et même pour protéger les corridas (interdites par loi par le Parlement catalan).
– Et cela se manifeste aussi par le large éventail de recours déposés par l’État auprès du Tribunal constitutionnel contre la législation catalanes, sur de multiples sujets, y compris certains de fondamentaux comme le sont l’éducation et l’immigration.
2 L’investissement d’énergies
-Nous, les Catalans, avons dépensé beaucoup d’énergie, dans de laborieux accords politiques et malgré les promesses non tenues par les dirigeants espagnols, pour obtenir un Estatut (Statut d’autonomie) plus moderne, qui voulait obtenir la reconnaissance et l’adaptation de la personnalité catalane au sein de l’État espagnol. Ces efforts ont été en grande partie inutiles, par le « cepillado » (rabotage du contenu) effectué par le Congrès des députés, et par l’agressive (pour beaucoup) sentence du tribunal constitutionnel du 27 juin 2010, qui a provoqué la plus grande manifestation de l’histoire de la Catalogne, jusqu’à ce jour. Le non respect de diverses dispositions de ce Statut raboté par l’État, tout comme la disparition des compétences exclusives des communautés autonomes et la politique recentralisatrice dans beaucoup de sujets, augmentent la sensation de frustration.
– Des secteurs importants de la société espagnole ont aussi consacré beaucoup d’énergie contre la volonté expresse des Catalans, par exemple, en recueillant des millions de signatures contre un Statut qui devait ensuite passer par les Cortes espagnoles. Actuellement ils dépensent des rivières d’encre afin de faire croire qu’il se produit des “fractures sociales” à cause d’un thème qui, pour la première fois dans l’histoire contemporaine, est à nouveau motif de débats, formels et informels, partout dans notre pays. Les seules “fractures” détectables ont été quelques actions violentes de la part de groupes ultranationalistes espagnols, que nous voulons bien croire incontrôlés. La société catalane est adulte et démocratique, quoi qu’en pensent certains.
– En ce moment même, et malgré une dépression économique sans précédents dans l’histoire contemporaine, nulle part autant qu’en Catalogne on ne trouve autant de milliers de professionnels spécialistes, ébauchant à partir de zéro ce que sera notre nouvel Etat. Dans le Conseil Consultatif pour la Transition Nationale, dans Omnium Cultural, dans l’Assemblée Nationale Catalane, cette énergie volontaire, sans contrepartie, est le fruit de la même énergie qui a amassé, l’onze septembre 2012, une manifestation, cette fois on ne peu plus clairement en faveur de l’indépendance, encore plus grande que la précédente (2010). C’est cette même énergie qui a rassemblé plus d’un million et demi de Catalans de toutes origines, le long des 400 kilomètres de la « Via catalana», le 11 septembre 2013, aussi en faveur de la voie démocratique vers l’indépendance. Ce ne sont pas des énergies inutiles : le peuple catalan – que tous les régimes ont voulu rendre conscient des nombreuses déroutes qu’il a subies tout au long de l’histoire – a récupéré, finalement, son auto-estime.
3 La vocation européiste de la Catalogne
– En peu d’endroits on peut trouver autant de tradition pro-européenne qu’en Catalogne. Divers éléments auraient pu justifier une position réfractaire envers l’Europe. En effet, l’Angleterre a abandonné la Catalogne à son sort avec le Traité d’Utrecht (1713), ne respectant pas le Pacte de Genève (1705). On se remémore encore les gros dégâts patrimoniaux causés par les troupes françaises un siècle plus tard, durant la guerre napoléonienne. Et un siècle plus tard encore, la politique de « non intervention » des alliés pendant la guerre espagnole de 1936-1939 (non respecté par les régimes totalitaires d’alors) et pendant l’après-guerre, qui a fait possible une longue et féroce dictature, héritière de la vieille aspiration à absorber la Catalogne dans la nation castillane. Peu d’années auparavant, le philosophe espagnol José Ortega y Gasset avait affirmé avec force que « l’Espagne est une création de la Castille et il y a bien des raisons de penser qu’en général seules les têtes castillanes ont les organes (cerveaux) nécessaires pour percevoir le grand problème de l’Espagne intégrale ». Cet esprit assimilationniste survit, malheureusement, encore.
– De même persiste aussi l’exclusion des Catalans des principaux lieux de commandement militaires et civils. Pour trouver un président catalan d’un gouvernement espagnol il faut remonter 141 ans en arrière (le fédéraliste Francesc Pi i Maragall), contrairement à la participation active de québécois et écossais, par exemple, comme premiers ministres canadiens ou britanniques.
– C’est pour cela, sans doute, et malgré certaines apparences, que les Catalans ont toujours eu un regard tourné vers l’Europe  – en commençant par Perpignan et, plus loin, Paris – comme un cadre plus naturel pour notre libre développement. Des milliers de volontaires catalans ont rejoint les alliés lors des deux guerres mondiales, et nous avons toujours été majoritairement favorables à l’Union européenne et au processus d’intégration européen. En tous cas jusqu’à maintenant.
4 Les principes de l’Union européenne
– Nous, les Catalans, savons bien que notre peuple n’a été respecté que pendant des périodes de libertés démocratiques, ne fut-ce que partiellement. Nous partageons donc pleinement les valeurs qui soutiennent l’Union européenne, et nous les célébrons comme étant celles qui ont permis, pendant la plus longue période par le passé – mis à part de regrettables conflits locaux – , de partager un projet de progrès basé sur la collaboration et le respect communs.
– Le pragmatisme historique des Catalans reconnaît sans réserve les valeurs que sont l’intégration et la coopération, pour affronter les défis d’une économie mondialisée. En même temps, beaucoup d’entre nous voulons participer activement aux grandes décisions du continent, nous voulons aussi pouvoir apporter notre grain de sel au processus de prise de décisions, qui se prennent à des tables d’où nous sommes absents, et dans un Parlement où nous n’avons pas de représentation, n’étant même pas circonscription électorale européenne.
– Beaucoup de Catalans sommes scandalisés par l’utilisation instrumentalisée que certains font de l’Union européenne, par des menaces si notre peuple vote et décide, pacifiquement et démocratiquement, de s’incorporer a la communauté internationale comme un état de plus. Nous sommes indignés qu’on donne pour certaine une décision – l’expulsion « immédiate » de la Catalogne de l’Union européenne – qui n’est mentionnée nulle part dans des traités. Nous refusons de croire que l’Union peut être intéressée a prendre en compte ceux qui, avec le mépris propre aux colonisateurs (comme vous même Mme Reding avez pu constater pendant la session de la part de la personne que “est venue vous contrôler”) défendent la mise de côté -en cette occasion –, du pragmatisme qui a caractérisé l’intégration européenne jusqu’à ce jour.
– Beaucoup de Catalans sont aussi préoccupés par la totale impunité avec laquelle, depuis certains (mais nombreux) moyens de communication, pas tous privés, et du haut de scènes politiques diverses, on nous qualifie de non-solidaires et même de nazis. Et en appeler à la Commission européenne et au Parlement européen n’a eu, jusqu’à ce jour, aucun effet réduisant ces constantes accusations vexantes, injustes et indignes.
5 L’aspiration des Catalans
– Dans un milieu mondialisé, beaucoup de Catalans croient fermement que ce n’est qu’en disposant des outils propres d’un État que nous pourrons continuer à générer de la richesse, en créant des lieux de travail pour nos enfants, et approfondir le bien-être et la satisfaction de notre peuple. On a souvent dit que ce n’est pas que la Catalogne ne dispose pas d’un État propre, c’est surtout qu’elle a un État contre elle ; et c’est seulement parce que notre projet est un projet de futur, d’aspiration que nous éviterons de détailler les nombreuses preuves de cette affirmation.
– Pendant plus d’un siècle et demi, la Catalogne a voulu moderniser et fédéraliser l’Espagne. L’échec du mouvement fédéraliste a été dû, de manière répétée, à l’absence d’interlocuteur dans le reste de l’État : et comme des peuples ne peuvent se fédérer que par un accord entre égaux… Mais il est évident que l’Espagne continue d’être un pays de fonctionnaires, avec une culture économique spéculative, avec un système judiciaire souvent soumis aux autres pouvoirs, toujours ralenti et peu efficace, avec une caste dominante séculaire qui a toujours su s’adapter au régime en vigueur, i qui a veillé à ses intérêts propres, et ceux de ses amis, comme on peut le vérifier en se rappelant les cas de corruption ouverts actuellement.
– Dans ce contexte, les consignes politiques et civiques des Catalans sont depuis des années « Est catalan qui vit et travaille en Catalogne et veut l’être » et « Nous sommes une nation », comme réaction et comme affirmation par le peuple catalan de sa volonté d’exister. Bien plus encore : en diverses occasions, en 1989, 1998, et en 2010, le Parlement de Catalogne a clairement établi qu’il ne renonçait pas au droit à l’autodétermination. Par volonté clairement majoritaire, le moment d’exercer ce droit est arrivé. Y compris les personnes sensées et respectées ayant exercé de hautes responsabilités politiques en Catalogne disent que le pays est face à d’une alternative historique : l’indépendance ou l’absorption définitive. Et ils choisissent la survie et l’indépendance.
– Le jour ou la Catalogne proclamera son émancipation politique, au sein d’un monde caractérisé par l’interdépendance, elle ne voudra pas casser les liens de type familial et de tous types avec le reste de la péninsule. L’indépendance ne sera nullement un geste contre aucun des peuples d’Espagne. Il s’agira de pouvoir décider, comme n’importe quel État, dans tous les domaines de compétence touchant le peuple catalan qu’elle n’aura pas librement accepté de transférer à des instances internationales, telle que l’Union européenne.
– Nous ne serons pas ceux qui, avec l’indépendance, voudrons élever des frontières ou créer des droits de douane. Bien au contraire, nous souhaitons et espérons que notre souveraineté permette de collaborer plus intensément, surtout avec nos voisins frères de langue et culture. Nous espérons que nos voies de communications transeuropéennes profitent à tout un chacun.
– Nous ne voulons imposer à personne la nationalité. Les Catalans ne veulent qu’aucun citoyen soit privé de sa nationalité espagnole contre sa volonté. Maintes fois l’histoire nous a appris que les impositions se retournent contre celui qui les promeut. Nous voulons construire une société tolérante, ouverte, ou le bien-être de tout citoyen soit un objectif primordial. Ceux qui s’opposent à notre émancipation basent une grande partie de leurs arguments favorable au maintien de la Catalogne en Espagne sur des questions sentimentales et identitaires, très respectables et légitimes, mais qui ne font rien pour résoudre aucun des problèmes que la société catalane a et continuera d’avoir.
6 Le manque chronique de confiance
– Des voix s’élèvent, comme vous savez très bien madame la Commissaire, pour nous demander que nos problèmes soient résolus par le dialogue et la négociation. C’est logique et normal. Mais une négociation (comme nous avons déjà dit) nécessite la volonté des deux parties. Avons-nous cette volonté, encore aujourd’hui, les Catalans ? Les « lignes rouges » que l’État espagnol a franchies tellement de fois ces dernières années (jusqu’à porter, pour la première fois de l’histoire, un Statut d’Autonomie validé par référendum – bien que tout d’abord vidé de sa substance – au Tribunal Constitutionnel ; faisant de même, aussi pour la première fois, à une déclaration politique de notre parlement ; envahissant les compétences de notre Parlement avec un total mépris ; et tellement de promesses non tenues par l’État) expliquent pourquoi une bonne partie de la population de la Catalogne est arrivé au point de non retour. Même une “troisième voie” que nous promettrait l’Etat ne serait crédible pour la majorité, à cause d’une accumulation de faits irréfutables. Et tout le monde peut voir que dans les quasi dix huit mois passés depuis la grande manifestation du 11 septembre 2012, l’Espagne n’a fait ni le moindre pas, ni un seul geste, qui n’ait été pour se retrancher, obstinée, contre les prétentions catalanes. Bien au contraire, la recentralisation avance chaque fois un peu plus vite.
– Et plus encore : toutes les enquêtes faites en Espagne indiquent que si, en réponse à certaines voix catalanes qui y verraient encore une sortie du conflit, il était fait une réforme de la Constitution espagnole, le plus probable serait que cette réforme recentralise l’État et enlève des compétences actuellement dans les mains, nominativement, de la Catalogne et d’autres communautés autonomes. Nous croyons fermement que seule l’indépendance de notre pays offre la possibilité de continuer d’exister, et réussir comme peuple.
7 En conclusion

– Pour toutes ces raisons, ceux qui sont ci-dessous cités, ayant assistés au débat précédemment mentionné, faisons un appel a l’Union Européenne et la communauté internationale dans son ensemble, pour qu’elles veillent à ce que s’accomplisse effectivement ce que 7 millions de citoyens européens, qui vivons et nous côtoyons en Catalogne, avons demandé à nos représentants politiques : pouvoir décider librement et démocratiquement, et sans que continuent les menaces apocalyptiques ni les reports à plus tard, et – comme ont fait des centaines d’autres peuples de par le monde avant nous -, d’assurer notre futur comme peuple et de récupérer notre indépendance.

Les personnes suivantes, qui ont participé au débat, subscrivent ce document:

• Anna Balcells
• Lluís Bonet i Coll
• Muriel Casals
• Angels Folch
• Richard Gené
• Elena Jimenez
• Miquel Lopez
• Isabel-Helena Martí
• Sergi Mir
• Carmen Miralda
• Richard Olivella
• Xavier Olivella
• Xesca Oliver
• Albert Poblet
• Conxa Puig
• Robert Sabata
• Joan Sànchez
• Simona Skrabec
• Miquel Strubell