Article de la presse catalane

La feuille de route pour la Catalogne

Le nouveau gouvernement régional a pris ses fonctions. Comme un grand nombre d’administrations en Europe à l’heure actuelle, il aura de grandes difficultés pour dispenser des services de qualité à sa population, alors qu’il devra s’atteler en même temps à favoriser la relance d’une économie énormément mise à mal. Et, dans son cas, avec un désavantage ajouté, celui de devoir négocier avec un gouvernement espagnol qui lui rendra aussi difficile que possible la mise en place de ses actions. Que la Catalogne soit une société productive et contribuable décisive aux finances de l’État n’y change rien. En effet, le gouvernement espagnol, qui détient seul le contrôle du Trésor public, paye ou retient les fonds destinés à la Catalogne en fonction de ses objectifs politiques. Et tous les messages venant de Madrid indiquent que le gouvernement a l’intention de profiter au maximum de ce pouvoir pour limiter la liberté d’action des Catalans par le biais de l’asphyxie financière, d’attaques systématiques et implacables contre la langue et la culture catalanes et le délitement de l’enseignement, dans le but avoué d’effacer tous les signes identitaires de leur personnalité collective.

Dans de telles circonstances il n’est pas surprenant qu’une majorité significative de Catalans ait au moins des doutes sur la convenance de rester une province espagnole. Cette réalité a été reflétée dans les résultats des élections du 25 novembre dernier, qui ont donné une majorité significative aux partis qui forment l’actuelle coalition dont la principale promesse était de convoquer un référendum sur l’indépendance. En ce moment, ce projet compte avec le support de près de deux tiers des députés du Parlement, confirmant ainsi ce que les sondages d’opinion avaient déjà annoncé, à savoir : quelque soit la décision finale, près de 80% des Catalans veulent être consultés sur la possibilité de s’affranchir par le biais d’un scrutin officiel de l’entité politique à laquelle ils sont actuellement rattachés.

Ces dernières élections nous ont fourni quelques clés sur l’état d’esprit des Catalans, mais pour connaître le nombre exact de ceux qui ont renoncé à l’Espagne, la seule alternative fiable et objective est de leur demander de répondre à cette question lors d’une consultation officielle. Cette voie apparaît comme la plus raisonnable pour résoudre la question. D’une part, c’est la ligne conséquente avec les avis exprimés par plusieurs experts internationaux et, d’autre part, c’est celle qui a été adoptée dans le processus parallèle qui est en train de se mettre en place en Écosse avec le support du Parlement du Royaume-Uni et de son gouvernement.

En Espagne, par contre, tous s’opposent farouchement à cette possibilité de consultation et, dans une inquiétante démonstration d’accord, tous les groupes politiques et la grande majorité de l’opinion publique qui se forge à Madrid se liguent contre le droit des catalans à s’exprimer. De toute évidence le système espagnol craint que le peuple catalan ne choisisse la séparation si on lui permet de se prononcer sur la question. Néanmoins la cause fondamentale et profonde, qui va bien au-delà de la peur de perdre, est que l’Espagne a nié, historiquement et jusqu’à aujourd’hui, que les Catalans soient un peuple avec une identité nationale distincte, ce qui fait de ce peuple un sujet de droits collectifs. Accepter qu’ils puissent être consultés par référendum équivaudrait à leur reconnaître ces droits.

Ainsi, à défaut de véritables arguments, la Constitution de 1978 est arborée comme un rempart pour rejeter les revendications des Catalans ou comme une arme prête à frapper s’ils décident d’en dépasser les marges étroites. En dépit des origines discutables de cette Constitution, née sous les ombres encore très vives d’une dictature longue de quarante ans, les défenseurs de la foi espagnole élèvent ce texte au rang des Saintes Écritures aussitôt après l’avoir interprétée au mieux de leurs intérêts. Un positionnement aussi irrationnel ne pourra pas être soutenu encore longtemps. Dans le monde entier on sait qu’il n’existe aucune loi qui puisse être invoquée pour frustrer la volonté d’un peuple. D’ailleurs en Espagne tout le monde est conscient que dans l’Europe actuelle une action d’expression démocratique ne peut être empêchée en faisant appel à des technicismes légaux et encore moins aux menaces ou aux forces armées.

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Tous les secteurs de la société catalane sont traversés par un sentiment croissant de fatigue à l’égard de l’Espagne. Les gens ont pris conscience que leur nation, en faisant partie de l’Espagne, ne cesse de s’appauvrir gravement tout en étant dépossédée en même temps des outils qui lui sont nécessaires pour arrêter et inverser ce déclin. De jour en jour, un nombre sans cesse croissant de Catalans s’aperçoivent que leur futur en tant que peuple est en danger et qu’il leur faut agir avec décision sans plus attendre.

La coalition issue du scrutin – investie d’un mandat non équivoque qui pourrait déboucher sur la séparation de la Catalogne d’avec l’Espagne –a commencé à tracer la feuille de route vers une souveraineté accrue, avec la participation d’autres partis et groupes politiques. Pour démarrer ce processus, on attend que ce 23 janvier le Parlement approuve par une large majorité une déclaration formelle réaffirmant le droit des Catalans à décider de leur avenir. Puis, le deuxième pas consistera à définir point par point un plan transparent et inclusif qui permette l’organisation d’un référendum populaire sur la question de l’indépendance.

Le gouvernement espagnol serait bien inspiré de ne pas interférer dans ce processus s’il veut sauvegarder son statut de démocratie. En fait, il est difficile d’imaginer comment pourrait-il s’y prendre pour empêcher ou interdire ce référendum sans recourir à des méthodes inacceptables qui léseraient énormément un État qui s’est déjà discrédité pour d’autres raisons. Il faut donc espérer que tous les obstacles seront finalement surmontés afin que le peuple catalan puisse s’exprimer.

En fin de compte, la décision librement exprimée par le peuple catalan devrait être respectée par tout le monde, en Espagne et au-delà. Si le choix d’une majorité absolue de la population est celle d’une formule de séparation, l’Espagne devrait se montrer honnête et reconnaître son échec s’agissant d’intégrer les Catalans dans son projet politique et répondre de bonne foi. Les autres voisins de la Catalogne devraient faire de même, en préparant le terrain afin que le nouveau pays puisse prendre la place qui lui correspond dans le concert économique et politique du continent et commencer à apporter sa contribution au nouveau projet européen.

(Traduction du texte original anglais réalisée par M. Vallribera)