Història - Joan Villanove

Carta 101 Napoléon? Pour en finir…

Napoléon et l’esclavage

Certains historiens prétendent que Napoléon souhaitait reconstituer un empire colonial en Amérique. Alors, pourquoi a-t-il vendu la Louisiane ? En fait, il y a là-dessous un enjeu économique. En 1789, plus de dix pour cent des Français vivent du commerce colonial. Il y avait plus de 500.000 esclaves noirs. Penchons-nous sur l’île de Saint-Domingue (Haïti d’aujourd’hui) et ses 21.550 km² (Languedoc Roussillon 27.700 km²). En 1740, l’île exporte 40.000 tonnes de sucre ; en 1789, Saint-Domingue est le premier producteur mondial de sucre et de café. Mais à cause des troubles qui suivront, ce sera la Jamaïque anglaise qui prendra la première place. En 1794, les députés de la Convention, encore sous la République française, votent l’abolition de l’esclavage. Cette décision généreuse n’a pas fait l’affaire des colons qui perdaient une main d’œuvre gratuite et corvéable à merci. 

En réalité, cette abolition n’a été appliquée qu’à Saint-Domingue et en Guadeloupe. Dans l’océan Indien, les colons de la Réunion et de l’Ile-de-France (aujourd’hui île Maurice) ont réussi à s’opposer à l’application du décret. 

A Saint-Domingue, en 1801, un homme se lève, ancien esclave récemment affranchi: c’est Toussaint Louverture, un officier de l’armée française; il se proclame gouverneur de l’île à la tête d’une armée de 16.000 hommes. La même année en Guadeloupe, des officiers noirs critiquent eux aussi le pouvoir colonial. L’empire des Caraïbes si cher à Napoléon est menacé. D’autant plus que ses deux proches relations Cambacérès (l’un des pères du Code Civil) et Talleyrand (ministre des affaires extérieures) sont favorables au rétablissement de l’esclavage. Entre temps, Toussaint Louverture, décidément très entreprenant, mène une politique indépendante et signe directement des contrats avec les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. 

Finalement, Napoléon décide de rétablir la souveraineté française dans ces terres lointaines. Le 20 mai 1802, il signe une loi qui rétablit l’esclavage dans les colonies. Il s’est inspiré de l’indigne « Code Noir » promulgué par Louis XIV et Colbert en 1685. L’article 3 de sa loi précise: « La traite des noirs et leur importation dans les dites colonies, auront lieu, conformément aux lois et règlements existants avant la dite époque de 1789 » ; rétablissement de l’esclavage pour les affranchis de 1794, c’est un retour en arrière terrifiant. Il s’ensuit que les 500.000 travailleurs noirs sont privés de salaire dans les plantations; les maitres blancs ont le droit de punir les esclaves sans passer par la justice civile, de les vendre comme du mobilier, et à séparer les familles s’il le faut. 

Finalement, pour établir l’ordre colonial, Bonaparte envoie une armée de 31.000 hommes à Saint-Domingue située à 7.000 km de la France ; le voyage dure environ 40 jours. Imaginez le convoi de dizaines et de dizaines de bateaux et de frégates transportant vivres, armements, uniformes, etc. et même 300 chiens pour chasser le « Nègre » ! Dès le débarquement, c’est le lot habituel d’une armée d’occupation : exécutions sommaires et collectives, noyades, détentions arbitraires, tortures, femmes et enfants mutilés, etc. les milliers de soldats français se nourrissent sur place. Les indécis créoles se rapprochent des insurgés. Les courriers écrits par les officiers français se montrent « convaincus de la supériorité des Blancs sur les Noirs dont découle la mission civilisatrice de la France ». 

Rapidement, du côté français, on sent que le rétablissement de la paix sera long et difficile. Un courrier est envoyé à Paris pour demander de l’aide urgente : « 6.000 hommes et un renfort de 2.000 par mois pendant 3 mois, 30.000 paires de souliers, des draps légers pour confectionner 20.000 capotes nécessaires aux soldats pour lutter la nuit contre le froid et l’humidité, de la toile de coton pour remplacer les tenues inadaptées au climat, 30.000 chemises, 20.000 guêtres de toile, 20.000 chapeaux ronds à haute forme pour préserver les hommes des coups de soleil qui les mènent à l’hôpital, 10.000 fusils neufs, des effets d’hôpitaux, du linge à pansements, des caisses d’instruments et des médicaments pour 6.000 malades et 3.000 blessés pendant un an. Et du vin, des farines, des salaisons, de l’eau-de-vie. » Un mois après, le courrier arrive à Paris.

Lors des négociations de paix, Toussaint Louverture est capturé par traitrise et déporté en France. Il mourra dans une prison insalubre et glaciale du Jura en 1803, à 60 ans.

Aujourd’hui, les défenseurs de Napoléon fournissent des arguments pour le disculper. Ainsi, on affirme qu’il n’était pas esclavagiste : la preuve, disent-ils, il a libéré les esclaves lors de sa campagne d’Egypte. Si vous avez lu ma CARTA 87 concernant l’expédition de Bonaparte, vous verrez que, bien au contraire, il a pillé l’Egypte, égorgé ses habitants, méprisé l’islam et qu’il a donné l’ordre d’exécuter 5.000 prisonniers de guerre. 

Maintenant un mot sur le général en chef envoyé à Saint Domingue au départ de Brest en décembre 1801. Dès son arrivée, il s’est écrié qu’il fallait « détruire tous les nègres des montagnes, hommes et femmes, de ne garder que les enfants au-dessous de douze ans ». Les gardiens de l’image napoléonienne remarquent que ce n’est pas lui, Napoléon, qui a prononcé ces mots, mais le général Charles Leclerc. Exact, mais qui était ce général ? Son beau-frère, il était marié avec Pauline la sœur de Napoléon, qui d’ailleurs l’avait accompagné lors de cette périlleuse opération. Napoléon avait envoyé un homme en qui il avait pleine confiance. Napoléon avait jugé sévèrement les révolutionnaires : « l’homme sans Dieu, je l’ai vu à l’œuvre en 1793 » ; il pointait du doigt les massacres en Vendée. En fait, Leclerc n’a pas fait autre chose à Saint-Domingue. Le nom du général Charles Leclerc est inscrit sur l’Arc de Triomphe. Serait-il un héros? Il meurt sur l’île de la Tortue en 1802 atteint de fièvres tropicales.

Le sacrifice de Toussaint Louverture n’aura pas été vain. En 1803, l’imposante armée française est battue par une armée de noirs. En 1804, Saint-Domingue proclame son indépendance et prend le nom de « Haïti » : les noirs s’étaient libérés eux-mêmes. Sur les 31.000 soldats français, ce sont tout juste 7 ou 8.000 qui retournent en France alors que 20 généraux ont perdu la vie ; 4.000 Polonais enrôlés de force pour cette expédition sont morts, 400 restent dans l’ile; certains s’étaient placés aux côtés des « insurgés ». Cette nouvelle catastrophe n’arrangera pas l’image de Napoléon Bonaparte en Europe. La marine française en sort très affaiblie

Aujourd’hui encore, à Pontoise sa ville natale, la statue du général Leclerc posée en 1869, trône fièrement devant la cathédrale
Toussaint Louverture et son bourreau  

Napoléon et la Papauté

Ce n’est pas la première fois que les souverains de France contestent le pouvoir du Vatican ; déjà en 1303, Philippe le Bel, avait installé « son » pape en Avignon ; le retour à Rome se fera en 1377. En 1775, le pape Pie VI est arrêté par le général Berthier qui lui reprochait de ne pas avoir soutenu l’invasion des armées françaises dans la péninsule italienne ; en fait, le patrimoine du Vatican avait été occupé tout simplement ; Pie VI mourra en « exil » à Valence en 1799.  

Nous voilà le 14 mars 1800 : Pie VII, le nouveau pape est élu. Dans ces temps difficiles pour l’Eglise, les cardinaux avaient choisi un homme pondéré espérant passer au travers des mailles tyranniques de Napoléon. Il accepte les préliminaires du Concordat de 1801 ; mais, il est modifié et Pie VII refuse aussitôt la nouvelle version, notamment l’emprise de l’Etat sur le Saint-Siège. Napoléon se dresse… mais il a besoin de lui pour son couronnement prévu à Notre-Dame le 2 décembre 1804… or, Napoléon et Joséphine vivent encore sous une union civile. Pour la petite histoire, les parents de Napoléon s’étaient mariés religieusement en 1766, après la naissance de leurs huit enfants. Le pape ne peut pas bénir deux souverains qui ne sont pas unis par le lien sacré du mariage dans l’église catholique; à la va vite dans la nuit, ils sont mariés. Le lendemain, ce 2 décembre glacial, le cortège de 25 carrosses et voitures s’étire dans Paris. Le pape avait accepté d’assister à la cérémonie pour bénir les deux couronnes impériales. 

Cependant, sans aucun respect, ni pour la papauté, ni pour les autres souverains d’Europe, ni pour les centaines d’invités venus de plusieurs pays, c’est Napoléon Bonaparte lui-même qui pose la couronne sur sa tête et c’est encore lui-même qui place la couronne sur la tête de Joséphine. 

De retour aux affaires, Pie VII refuse toujours le Concordat que Napoléon veut lui imposer ; de plus, il ne soutient pas le Blocus continental infligé à l’Angleterre. Dès lors, Pie VII est retenu prisonnier à Savone en 1809, puis à Fontainebleau en 1812. Il retrouvera la liberté en 1814 ; son retour au Vatican fut applaudi par tous les chrétiens et reçu dignement dans les grandes villes. 

Plaque commémorative apposée 

dans la cathédrale de Brive.

« In memoriam – Sa sainteté Pie VII prisonnier quitte Fontainebleau le 23 janvier, passe à Brive le 30 janvier, rentre à Rome 

le 24 mai 1814 »

Napoléon et la Chambre Haute : le Sénat

Rappelons que le Sénat est chargé de veiller au respect de la Constitution. Le premier Sénat est fondé en 1799 par Bonaparte, alors premier Consul. Pas d’élection. Ce sont les deuxième et troisième Consuls (sur les trois du gouvernement) qui nomment les soixante Sénateurs inamovibles, auxquels on ajoutera deux membres supplémentaires chaque année. Bref, les sénateurs se recrutent eux-mêmes. L’assemblée du Sénat s’installe dans le Palais du Luxembourg. Il arrive que Napoléon convoque et préside le Sénat… qui reste à ses ordres. En 1802, le Sénat s’est agrandi et il compte 120 sénateurs. A partir de 1804, Napoléon nomme 36 sénateurs qui font office de « superpréfets » régionaux avec des avantages immenses : palais, châteaux, etc. et un doublement du salaire.

Ainsi, le fidèle savant chimiste Berthollet, qui avait accompagné Bonaparte en Italie et en Egypte, et participé aux pillages, reçoit la « sénatorerie » de Montpellier. Il s’installe dans le palais épiscopal de Narbonne et perçoit 22.690 francs de revenus annuels.

Il est nommé président du collège électoral des Pyrénées-Orientales. Puis, Napoléon nomme au Sénat des princes, des grands dignitaires, d’autres personnes sans aucune limitation de nombre… comme son frère Joseph, Cambacérès, Chaptal, Fouché… et des généraux comme Caulaincourt et Duroc. 

Anticipons… la plupart de ces hommes (comme Berthollet) comblés de faveurs n’ont pas hésité à proclamer la déchéance de Napoléon I° en avril 1814 ; ils ont placé sur le trône Louis XVIII. Grandeur et décadence.

À cette époque, la constitution des Etats-Unis, écrite en 1787, avait instauré deux chambres d’élus : celle des Représentants (c’est-à-dire les Députés) et celle des Sénateurs, élus eux aussi. Sagement, les Américains avaient accordé à chaque Etat (qu’il soit grand ou petit) deux sièges au Sénat. Cette constitution est encore en vigueur de nos jours et le Sénat compte aujourd’hui 100 sénateurs élus.

Napoléon réorganise l’enseignement… à sa façon

En Europe, les premières universités avaient été fondées par le Saint-Siège du Vatican: Bologne 1088, Oxford 1167, Sorbonne 1200, etc. Toutes les universités françaises sont supprimées par les Révolutionnaires le 15 septembre 1793 ; le gouvernement de la Convention voulait les remplacer par des Grandes Ecoles Spéciales comme le Conservatoire des Arts et Métiers ou l’Ecole des Beaux-arts. Napoléon fera autrement ; en 1806, la loi stipule : « il sera formé, sous le nom d’Université impériale, un corps chargé exclusivement de l’enseignement et de l’éducation publiques dans tout l’Empire ». C’est-à-dire, même organisation dans chacun des 130 départements et les pays conquis par un monopole d’Etat. L’Article 38 peut étonner : « Toutes les écoles de l’Université prendront pour base de leur enseignement : les préceptes de la religion catholique, la fidélité à l’Empereur, à la monarchie impériale dépositaire du bonheur du peuple et à la dynastie napoléonienne conservatrice de l’unité de la France ». Il arrive même que des communes fassent appel à des congrégations religieuses pour tenir des écoles : petits séminaires et écoles secondaires privées. 

Mais comme l’Etat n’a pas prévu la formation des enseignants, les notables plutôt riches inscrivent leurs enfants dans les institutions privées. Pour Napoléon, « tant qu’on n’apprendra pas dès l’enfance s’il faut être républicain ou monarchiste, catholique ou irréligieux, l’Etat ne formera point une nation ». Et il ajoute « la religion doit être profondément gravée dans le cœur et la raison des élèves… ». 

En fait le véritable maitre d’œuvre de l’enseignement est le chimiste Fourcroy. Il fait remarquer que « les enseignants actuels touchent à la vieillesse… et une corporation telle que celle de Votre Majesté a conçu le plan, peut régénérer l’instruction publique… » Napoléon précise que « mon but principal, dans l’établissement d’un corps enseignant est d’avoir un moyen de diriger les opinions politiques et morales ». Remarquez que pour s’adresser à Napoléon, il faut employer « Votre Majesté ».

Louis de Fontanes est nommé Grand Maître de l’Université (le ministre de l’éducation dirions-nous aujourd’hui). Toujours axé sur les principes chrétiens, Napoléon lui envoie un collaborateur, le « chancelier », Monseigneur Jean de Villaret, évêque. 

Le baccalauréat est instauré par Napoléon ; mais ce diplôme, à l’époque comme de nos jours, ne donne aucun métier. Il n’est obtenu que par 2.000 élèves par an. Il est obligatoire pour s’inscrire en faculté. Les études supérieures sont payantes.

Le Conseil de l’Université comptera d’autres ecclésiastiques. Les petits séminaires sont sous le contrôle de l’Etat, mais les grands séminaires sont placés sous la responsabilité des évêques. Le ministre de la police s’inquiète de l’organisation de l’enseignement : « Le plus grand nombre de ses chefs ont été prêtres… qui veulent dominer les esprits de la jeunesse en les dirigeant vers la superstition et le cagotisme ». Tout compte fait, il y aura moins de facultés que sous l’ancien régime. L’Ecole Polytechnique prend de l’ampleur.  

L’Empire est découpé en 32 académies (27 pour la France actuelle), chacune dirigée par un recteur. L’enseignement secondaire est suivi par 50.000 à 60.000 élèves pour la France hexagonale ; 10.000 dans les lycées de l’hexagone et 22.000 pour l’empire. En 1814, il n’y aura que 6.131 étudiants dans les facultés d’un niveau plutôt faible. Le professeur en médecine Poumiès reconnait amèrement que « la conscription, les engagements volontaires, les écoles militaires enlevaient les jeunes gens les plus forts, les plus beaux, les mieux faits, ne laissant dans la famille que ceux qui étaient faibles, petits, débiles, affectés de quelque infirmité qui les rendaient impropres au service ». 

Mais la concurrence s’aggrave entre école sous contrôle de l’Etat et les écoles privées. Peu importe, Napoléon insiste : « Vous vous assurerez particulièrement si l’histoire glorieuse de la quatrième dynastie [la sienne, après les trois précédentes des Mérovingiens, des Carolingiens et des Capétiens] est employée dans les devoirs des élèves ». Bref, il faut inculquer l’amour de la famille régnante. 

L’enseignement féminin n’est pas oublié. Ces maisons accueillent des filles d’officiers supérieurs et de fonctionnaires publics, soient 16.000 jeunes filles en France. Il s’agit de les préparer à être de bonnes mères de famille. Mais elles n’ont accès ni aux lycées, ni à l’enseignement supérieur, ni à aucune des écoles spéciales. 

La centralisation de l’enseignement, telle qu’elle existe encore de nos jours, remonte à cette époque, mais l’organisation et les programmes ne seront pas conservés après 1815. L’inépuisable Michelet s’émerveille : « c’est justement parce que la centralisation est puissante, la vie commune, forte et énergique, que la vie locale est faible. Je dirais même que c’est la beauté de notre pays ». 

Quant à l’enseignement des femmes, Napoléon est clair : 

« Je ne crois pas qu’il faille s’occuper d’un régime d’instruction pour les jeunes filles ; elles ne peuvent être mieux élevées que par leur mère ; l’éducation publique ne leur convient point, puisqu’elles ne sont pas appelées à vivre en public ; les mœurs sont tout pour elles ; le mariage est toute leur destination ».

Voyons la position de la femme aux Etats-Unis décrite par Alexis de Tocqueville (1805-1859), historien français ; il est favorable à la liberté de la presse et à l’indépendance du pouvoir judiciaire : 

« Aux Etats-Unis, les doctrines du protestantisme viennent se combiner avec une constitution très libre et un état social très démocratique ; et nulle part ailleurs la jeune fille n’est plus promptement et plus complètement livrée à elle-même. Longtemps avant que la jeune Américaine ait atteint l’âge nubile, on commence à l’affranchir peu à peu de la tutelle maternelle ; elle n’est point encore entièrement sortie de l’enfance que déjà elle pense par elle-même, parle librement et agit seule… elle est pleine de confiance dans ses forces ».

La fortune de  Napoléon ! La guerre et l’argent.

Nous l’avons déjà signalé. Napoléon voulait fonder une nouvelle dynastie. Cela exigeait beaucoup d’efforts et de moyens financiers pour les opérations militaires, récompenser ses meilleurs généraux et pour éblouir les Maison Royales et Impériales de l’Europe. Souvenons-nous que pour résoudre leurs problèmes financiers, les premières Républiques de France avaient trouvé la solution : piller les pays voisins. La première « razzia » s’était déployée dans les diverses régions « italiennes », Villes-Etats, duchés, républiques, Etats du Pape, etc. Avant la campagne d’Italie, Bonaparte avait motivé ses troupes : « Soldats, vous êtes nus, mal nourris ; le gouvernement ne peut rien vous donner… je vais vous conduire dans les plus fertiles plaines du monde. Vous y trouverez bonheur, gloire et richesse». Bref, servez-vous ! Les ennemis de la « liberté » sont battus les uns après les autres. Napoléon « prélève » des millions qu’il envoie régulièrement à Paris ; la République Française va pouvoir éponger ses dettes, mais au passage il conserve une « commission ». Ce sera sa première cagnotte. A chaque pays conquis, il augmente son trésor personnel. 

Napoléon est clair : « La guerre est la source de la richesse nationale et la renaissance du crédit public ». De 1805 à 1810, la guerre a rapporté personnellement à l’Empereur 743 millions de francs. On comprend pourquoi il partait en guerre : pour faire fortune. Les pays conquis sont lourdement taxés.

Les nombreuses nations de la péninsule italienne payent un impôt de guerre d’environ 30 millions. En 1805, l’Autriche est imposée pour 40 millions de francs puis, en 1809, pour 80 millions ; la Prusse à 120 millions de francs ; en 1807, les alliés versent de 400 ou 500 millions. Napoléon croyait que l’Espagne regorgeait d’or et d’argent récoltés en Amérique et il disait que « l’Espagne est la continuation de la France ». Erreur. L’Espagne était devenue un pays pauvre. La flotte de guerre anglaise empêchait les galions espagnols soit d’aller en Amérique, soit d’en revenir. Après de longues négociations, Napoléon impose l’Espagne : le pays doit payer 6 millions de livres par mois, soit au total 72 millions. Rappelons que la Louisiane s’est vendue 80 millions de livres. L’Espagne ne peut pas payer. C’est là qu’apparaît une association de banquiers, proches de Napoléon : la « Compagnie des Négociants Réunis ». Elle s’engage à payer les six millions si l’Espagne lui donne le monopole des échanges financiers (en piastres) avec le Mexique et des échanges commerciaux avec l’Amérique. 

Il fallait trouver un moyen d’approvisionner Paris en grains ; c’est-à-dire faire arriver par la Seine 45 000 quintaux de grains par mois ; 25 à 30 000 seraient trouvés dans les départements de l’ouest ou dans les départements belges ou rhénans qui sont donc dépouillés de leur blé. Pourtant, le banquier Ouvrard se débrouille pour livrer du blé à l’Espagne qui crie famine : en compensation, le ministre Godoy lui vend les piastres à 3,75 francs et Ouvrard les revend à 5 francs en France et en Hollande.

Mais, les faillites des banques se multiplient. Les Parisiens font la queue devant les banques pour récupérer leur argent. Peu importe, au fil des années, Napoléon I° deviendra le souverain le plus riche au monde. Il entasse son or dans les caves des Tuileries. L’argent coule à flot dans ses caisses personnelles. Parfois, il distribue l’or des razzias à ses troupes, comme ferait un corsaire partageant le butin avec ses hommes.

Le train de vie de Napoléon.

De nombreuses études ont été réalisées sur cette question. Voilà quelques éléments. De 1804 à 1814, Napoléon réussira à mettre de côté plusieurs centaines de millions de francs ; son patrimoine est estimé à 800 millions. Il a en permanence 20 millions disponibles : or, diamants et monnaie. 

Joséphine dépensait un million de francs par an pour ses bijoux, ses robes, et autres. 

Sa garde-robe comptait 900 robes, 500 chemises, 650 paires de chaussures, etc. 

Comparons : le budget annuel du Ministère de la Marine était de un million de francs (hors bateaux). 

Certes, Napoléon s’habille plutôt modestement, mais il possède 47 châteaux qu’il va aménager, décorer, transformer comme le palais des Tuileries endommagé lors de la Révolution. Il ne lésine pas sur le faste et l’apparat parce que cela contribue à l’image qu’il veut donner: il baigne dans une propagande permanente. Il tient ce penchant de sa mère Letizia qui avait éduqué ses enfants dans cet état d’esprit: « Dépensons pour nos plus beaux habits, même si nous ne mangeons pas ». 

Justement parlons un peu de la Maison de Napoléon I°. Les Archives Nationales ont conservé les livraisons de vivres. Pour le seul mois de décembre 1812, alors que l’empereur revient de la catastrophique campagne de Russie le 19, les commerçants de Paris livrent à la résidence de Napoléon : 3 tonnes de viandes, 500 kg de charcuterie et des milliers de volailles, 6.600 œufs, 252 kg de sucre et 500 kg de beurre, 2.667 pains, 106 bouteilles de vinaigre à l’estragon, 427 laitues et 72 chicorées. Viennent ensuite les livraisons des poissonniers: turbos, darnes de saumon, crêtes de morue, raies, brochets, cabillauds, anguilles, truites, soles, barbues, barbillons, mersaux, carlets, seiches, carpes , écrevisses, homards, harengs… et aussi 251 douzaines d’huitres pour le réveillon. Terminons avec le vin ; d’abord le Chambertin, vin préféré de Napoléon I°, livraison de 93 bouteilles ; et, toujours en ce mois de décembre 1812, 1.947 bouteilles de vin ordinaire et 1071 de Beaune, 24 Champagnes. Tout cela est conservé au frais grâce à quatre tonnes de glace. 

En avril 1810, Napoléon I° accueillait Metternich, ministre des affaires étrangères autrichien; c’est la préparation du mariage de l’archiduchesse Marie-Louise fille de l’empereur avec Napoléon. Voyons les livraisons faites à sa résidence parisienne pour son séjour: 585 bouteilles de vins et liqueurs, 670 kg de viandes, 477 kg de charcuterie, 153 poulets et 1.035 pains. Donner toujours une bonne image.

Où trouver de l’argent ?

Il ne restait plus qu’un seul pays à ponctionner pour payer ses projets et maintenir son train de vie: la Russie. Cette campagne se termina, comme en Espagne, en un désastre militaire et financier qui lui sera fatal. Napoléon n’avait pas vu venir le nouveau monde qui s’annonçait. La révolution industrielle, l’essor d’une monnaie-papier (c’est-à-dire la diminution du paiement en pièces métalliques), la mondialisation des échanges; alors qu’il contrôle les places financières d’Amsterdam, Genève, Paris, Gênes, il ne lance aucun emprunt. Il faut dire que l’emprunt public jouissait d’une mauvaise réputation en France. En 1702, la Caisse des emprunts avait récolté 2,2 milliards; à la mort de Louis XIV en 1715, l’Etat ne reconnaitra que 1,7 milliards de dettes. En 1789, l’Assemblée constituante lance un emprunt national de 30 millions de livres… mais le gestionnaire de cet emprunt est emprisonné et condamné à mort en 1794. En 1793, la Convention lance un « emprunt forcé et volontaire » de un milliard. En 1795, troisième emprunt révolutionnaire de 60 millions de francs. Bilan? Sur ces trois derniers emprunts, seul un tiers s’est consolidé: c’est-à-dire que nous assistons au plus important défaut de paiement national. En France, tout fonctionne à partir de l’Etat et de son cortège de lois. L’Angleterre avait instauré un système de contrat, c’est-à-dire un compromis, entre l’Etat et le secteur privé des entreprises ; il s’ensuit un dynamisme et un esprit d’initiative positifs; enfin en 1799, l’Angleterre avait déjà mis en place l’impôt sur le revenu. 

En 1804, Napoléon diminue l’impôt foncier (avantageux pour les fortunés) et il rénove les « droits réunis » payés par tous ; ce sont les impôts indirects : boissons et distillerie (vin taxé à 94%), même sur le sel, tabac, cartes à jouer, voitures publiques… Ces droits sont perçus par une nuée de commis ayant pleins pouvoirs qui forment la Régie. On fait remarquer à Napoléon que le peuple risque de gronder, il répond : « j’ai mes gendarmes, j’ai mes prêtres, j’ai mes préfets… si on remue, je ferai pendre cinq ou six rebelles et tout ira bien ». Voyons le montant de ces droits réunis : en 1808 ils s’élèvent à 82 millions, en 1809 ce sont 106 millions, en 1811 ce sont 128 millions, en 1813 ce sont 220 millions. De nos jours, les impôts indirects représentent plus de la moitié des recettes fiscales.

Plombs pour les scellés des Droits Réunis (diamètre 27mm) apposés par les commis de la Régie. Dès 1814, des manifestants réclameront l’abolition des Droits Réunis. 

Souvenons-nous, comme je vous l’avais déjà signalé, que lors de la défaite de Waterloo, Napoléon avait dissimulé dans ses sacoches 320.000 francs. Il réussit à conserver 110.000 francs dans ses poches que les Anglais n’ont pas trouvés. 

Les largesses de Napoléon.

Un seul exemple vous permettra de bien comprendre comment fonctionnait Napoléon vis-à-vis de son entourage : citons Louis-Alexandre Berthier (1753-1815). 

Ce brillant ingénieur-géographe de condition modeste était devenu rapidement un proche de Napoléon et ensuite son chef d’Etat Major. C’était l’homme indispensable pour gérer une armée de plus de 500.000 hommes déployés sur plusieurs pays. 

Napoléon l’a récompensé par une pluie de faveurs. Le patrimoine de Berthier, prince de Wagram, est époustouflant : château, parc, hôtels, maisons, terres, bois, etc.

Nous pourrions publier les listes des récompenses offertes aux autres maréchaux et généraux qui, de plus, s’étaient servis sur place lors de leurs campagnes militaires. Napoléon I° est vaincu le 6 avril 1814. Aussitôt, Berthier se rallie à Louis XVIII, futur roi de France. Par conviction ou pour être sûr de conserver son patrimoine ? Napoléon s’exclamera : « Vous voyez cet homme qui s’en va, je l’ai comblé de bienfaits ; eh bien ! Il court se salir. »

Après Waterloo : 1815

A chacun son tour ! Vaincue, la France doit payer aux alliés 700 millions de francs d’indemnités de guerre. La majorité des hommes qui soutenaient Napoléon ont retourné leur veste avec une promptitude stupéfiante. Nous avons vu le maréchal Berthier… mais ils furent des centaines. C’est ainsi que des historiens et des journalistes de cette époque ont publié l’étonnant et courageux « Dictionnaire des Girouettes », en 444 pages. Ces écrivains méritent d’êtres cités : Alexis Eymery, Pierre-Joseph Charrin, César de Proisy d’Eppe, René Perrin et Tastu. L’intérêt est surtout dans la sincérité des personnages cités. Ces hommes « girouettes » étaient les premiers à vanter les mérites de la Révolution, distribuant des Citoyens, des Républicains à tout va, et pour certains guillotinaient les gens sans aucun scrupule, se soumettaient à Bonaparte et enfin glorifiaient Napoléon I°.

À Perpignan, le conventionnel Milhaud (et son collègue Soubrany), dans son costume officiel avec panache sur son chapeau, écrit au sujet des personnes qu’il a fait guillotiner : « Nous ne saurions nous apitoyer sur le sort de ces monstres qui ont tenté de trahir leur patrie. »  

De janvier à mai 1794, il fait guillotiner 58 Catalans place de la Loge à Perpignan. Ce Milhaud, après sa carrière purement jacobine partisan de la Terreur, participe au coup d’Etat du 18 brumaire qui porte Bonaparte au pouvoir. En 1800, il est général de brigade; en 1806, après les campagnes militaires de Prusse, l’empereur Napoléon I° le nomme général de division; en 1808, il fait la guerre en Espagne, puis en 1813 en Allemagne et en 1814 lors de la débâcle en France; après l’abdication de Napoléon I°, il se rallie à Louis XVIII, le nouveau roi de France; dès le retour de Napoléon de l’ile d’Elbe, il se place à ses côtés pour les Cent Jours; et il participe à Waterloo ; puis, il envoie à nouveau sa soumission à Louis XVIII; monsieur le comte de Milhaud (oui, ce « buveur de sang révolutionnaire » était devenu comte d’Empire) quitte ce monde dans son lit en 1833 à Aurillac.

Le super-ministre Talleyrand est récompensé par 12 girouettes ! Un record.

Moralité

En 1814, Thomas Jefferson, troisième président des Etats-Unis, qui avait habité Paris, écrivit à John Adams : « L’Attila du siècle est détrôné, l’impitoyable destructeur de plusieurs millions de ses semblables, le grand oppresseur des droits et de la liberté du monde, comme il a misérablement terminé cette gigantesque carrière… Mais Bonaparte n’était qu’un lion sur les champs de batailles. Dans la vie civile, c’était un calculateur au sang froid, usurpateur dénué de principes et sans aucune vertu. Il n’avait rien d’un homme d’Etat, n’entendant rien au commerce, ni à l’économie politique, ni au gouvernement de la société… présomptueux… je l’avais cru grand homme, il n’a plus été qu’un grand criminel. »

Aujourd’hui encore, Napoléon est considéré, par certains médias, comme un grand homme français. Des expositions permanentes continuent à vanter les mérites de celui qui aurait « façonné » la France ; des ventes aux enchères de ses objets personnels perpétuent la légende. 

Je vous propose deux exemples à placer côte à côte : à vous de choisir le modèle pour vous-même, pour vos enfants et vos petits-enfants.  

* D’un côté, Napoléon I°, l’homme qui avait le génie de la guerre terrestre, pilleur, esclavagiste, surnommé l’Ogre ; il a gagné des batailles… mais il a perdu la guerre ; de condition modeste, il a su construire une renommée internationale encore vivace de nos jours.

* De l’autre côté, sir Alexander Fleming (1881-1955, né en Ecosse), découvreur de la pénicilline ; ce qui a ouvert le monde à l’ère des antibiotiques ; son invention lui a valu le Prix Nobel de médecine en 1945 ; il a sauvé et sauvera encore des millions de vies humaines ; surnommé l’Écossais taciturne ou « Little Flem », ce bienfaiteur de l’humanité a choisi d’être incinéré ; ses cendres ont été déposées dans la crypte de la cathédrale Saint-Paul à Londres. 

Dans le monde, des milliers de villes honorent Fleming ; en Catalogne Roses, Mataro, etc.  

À Barcelona… « Sir Alexander Fleming ».

Terminons avec une citation de Simone Weil (1909-1943), philosophe visionnaire :

« Croire à l’histoire officielle, c’est croire des criminels sur parole. »

Faites-vous une opinion avec un extrait d’un livre « Vishnu-purana »

écrit par un Sage de l’Inde, il y a vingt siècles :

« Des races d’esclaves se rendront maîtres du monde.

Les chefs seront de nature violente.

Les chefs, au lieu de protéger leurs sujets, les dépouilleront.

Seuls les biens matériels confèreront le rang.

Le seul lien entre les sexes sera le plaisir.

La terre ne sera appréciée que pour les biens minéraux.

Le type de vie sera uniforme au sein d’une promiscuité générale.

Celui qui distribuera le plus d’argent dominera les hommes.

N’importe quel homme s’imaginera être l’égal d’un brahmane, autorité spirituelle.

Les gens éprouveront la terreur de la mort et la pauvreté les épouvantera.

Les femmes deviendront simplement un objet de satisfaction sexuelle.»

Joan Villanove