Història - Joan Villanove

Nos langues…

En 1949, le Conseil de l’Europe avait fait de la sauvegarde et du développement des Droits de l’Homme l’un des objectifs prioritaires, et cela concernait aussi les minorités linguistiques. Dès 1957, l’Assemblée parlementaire (qui portait à l’époque le nom d’Assemblée consultative) vote la résolution n° 137 en faveur de la protection des minorités nationales. La Charte est rédigée en 1988. Elle est définitivement adoptée le 25 juin 1992.

En 1993, la Norvège a été le premier Etat à ratifier la Charte Européenne pour les deux langues : le kvène, le lapon. 

Avant propos… 

Joan Dorandeu raconte quelques anecdotes qu’il a vécues en 1965. Lors des Jocs Florals, il était chargé de réunir des intellectuels favorables à la langue catalane. Il rencontra l’écrivain François Mauriac, académicien et lauréat du prix Nobel en 1952 ; François Mauriac se montra très favorable à la défense de la langue catalane en Espagne. Mais les Catalans de France eux n’avaient pas les mêmes droits puisqu’ils étaient Français, et que la culture française jouit d’un niveau supérieur, étant la seule capable de développer l’humanité. C’est une constante : la France dépense des fortunes pour la promotion du français au Canada, en Italie, en Suisse, quitte à se froisser avec les gouvernements de ces pays, mais elle freinera dans l’hexagone le développement des langues qu’elle juge    « régionales ». 

Rappelons la coûteuse campagne d’affichage aux Etats-Unis 

« La Louisiane est bilingue ». 

En 1981, Joan Dorandeu avait posé la question des langues régionales aux deux candidats lors des élections présidentielles. Le 18 avril, Jacques Chirac lui répond : « les cultures régionales sont des ponts, des médiateurs naturels vers des cultures européennes plus vastes. Par elles, la France retrouve la diversité de ses propres sources qu’un centralisme excessif et la crainte presque obsessionnelle d’un éclatement de l’unité nationale avaient essayé de tarir… » 

Dix jours plus tard, François Mitterrand lui écrit à son tour : « je tiens à vous signaler que mes amis parlementaires ont déposé une proposition de loi relative à la place des Langues et Cultures des peuples de France dans l’enseignement, dans l’Education permanente, dans les activités culturelles, de jeunesse, et de loisirs, dans les émissions de radio et de la télévision et dans la vie publique ». Remarquez « peuples de France ». En 1981, le candidat François Mitterrand (Union de la Gauche) avait lancé un programme en 110 propositions. La 56e était prometteuse : « la promotion des identités régionales sera encouragée, les langues et cultures minoritaires respectées et enseignées ».Mais, une fois élu, notons une avancée partielle avec les radios libres. Ici, Radio Arrels.

L’infatigable Joan Dorandeu, qui a suivi l’affaire, précise : « A deux reprises, un rapport a été fait par l’Assemblée Nationale pour la promotion des langues régionales : les deux ont été bloqués, une fois par Michel Debré, Premier Ministre, l’autre quelques années plus tard par Valéry Giscard d’Estaing, Ministre des Finances. » Et une troisième fois par le premier ministre Bérégovoy qui s’opposa vigoureusement aux amendements parlementaires qui voulaient ajouter à la Constitution le respect des langues régionales.  

Quelques dates

Le 7 mai 1999, la France signe la Charte pour protéger et enseigner les langues dites régionales : « La France envisage de s’engager à appliquer certains ou tous les paragraphes ou alinéas suivants de la partie III de la Charte ». Mais, elle ne l’a pas ratifiée à cause d’une décision du Conseil Constitutionnel, estimant que la Charte est contraire à l’article 2 de la Constitution française qui stipule que « la langue de la République est le français ». En fait, la France n’applique que 39 articles sur les 98 que compte la Charte Européenne.

En 2008, le Conseil Economique et Social des Nations Unies réuni à Genève a « suggéré » et « recommandé » à la France d’« envisager » la ratification de la Charte.

En juillet 2008, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, la Loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la V° République a ajouté l’article 75-1 à la Constitution qui dispose « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France » s’appuyant sur l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789 : « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi. »

L’Assemblée nationale a adopté le 28 janvier 2014 un amendement constitutionnel permettant la ratification du traité, ce qui était une promesse de campagne.

Le 31 juillet 2015, un projet de loi est présenté en Conseil des Ministres, afin de modifier la Constitution pour que la France puisse ratifier la Charte. Le texte est rejeté par le Sénat le 27 octobre 2015. Bref, la Charte ayant été signée mais pas ratifiée, la France jongle avec les textes pour en faire le moins possible.

Le centralisme français s’est solidifié : pour « ces messieurs de Paris », l’égalité c’est l’uniformité. On en reste encore à la formule rigide d’un autre temps : un état, une école, une langue, sauf pour la langue arabe selon l’ancien ministre Jack Lang.

Actuellement, 24 États ont signé et ratifié la Charte Européenne

Allemagne

Arménie

Autriche

Bosnie-Herzégovine

Chypre

Croatie

Danemark

* Espagne

Finlande

Hongrie

Liechtenstein

* Luxembourg

Monténégro

Norvège

Pays-Bas

Pologne

Roumanie

Royaume-Uni

Serbie

Slovaquie

Suède

Suisse

Tchéquie

Ukraine

Actuellement, 8 Etats ont simplement signé la Charte Européenne

Azerbaïdjan

* France

Islande

Italie

Macédoine

Malte

Moldavie

Russie

Actuellement, 13 Etats n’ont ni signé ni ratifié la Charte Européenne

Albanie

Andorre

* Belgique

Bulgarie

Estonie

Géorgie

Grèce

Irlande

Lettonie

Lituanie

Monaco

Portugal

Turquie

La Belgique vous étonne-t-elle ?

Elle compte quatre régions linguistiques : 

wallon, flamand, allemand 

(régime spécial pour Bruxelles). 

Donc, pas de langues régionales comme le définit la Charte européenne. Les trois langues sont officielles : néerlandais, français, allemand. La Communauté germanophobe est en place dans les cantons d’Eupen et de Saint-Vith : 854 km² pour 75.700 habitants ; la langue officielle est la langue allemande. Pour les « nouveaux arrivants francophones » dans cette région, l’Etat a mis en place des facilités linguistiques pour l’apprentissage. 

De même pour le Luxembourg qui a ratifié en 2005 ; l’Etat reconnaît trois langues officielles : allemand, luxembourgeois, français (pas de langue minoritaire)

Quelques exemples de pays qui ont ratifié la charte….

Allemagne (1998)

danois (Schleswig-Holstein)- haut sorabe (Saxe) – bas sorabe (Brandebourg) – frison septentrional (Schleswig-Holstein) – frison saterois (Basse-Saxe) – bas allemand (BrêmeHambourgMecklembourg-Poméranie-OccidentaleBasse-SaxeSchleswig-Holstein) – Dispositions spécifiques : romani (Sintis et Roms de nationalité allemande)

Autriche (2001)

le croate, le hongrois, le romani, le slovaque, le slovène, le tchèque, l’allemand.  

Croatie en (1997)

italienserbehongroistchèqueslovaqueruthèneukrainien

Danemark (2000)

allemand. 

Espagne (2001)

Les langues régionales ou minoritaires considérées sont les langues reconnues comme officielles dans les statuts d’autonomie des communautés autonomes du Pays basque, de Catalogne, des îles Baléares, de Galice, de la Communauté valencienne et de Navarre. 

Finlande (1994)

le lapon, le suédois. 

Pays-Bas (1996)

Frison occidental (province de Frise)langues basses saxonnesyiddishromaneslangue du Limbourg

Pologne (2009)

l’allemand, l’arménien, le biélorusse, le tchèque, l’hébreu, le yiddish, le karaïte, le kachoube, le lituanien, le lemkovien, le romani, le russe, le slovaque, le tatare, l’ukrainien. 

Royaume-Uni (2001)

galloisgaélique d’Écosseirlandais (Irlande du Nord)écossaisécossais d’Ulster (Irlande du Nord)corniquegaélique de l’ile de Man 

Ukraine (2005)

allemandbiélorussebulgaregagaouzegrechongroislangues juivesmoldaveroumainpolonaisrussetatar de Criméeslovaque.

Quelques opposants aux langues régionales.

L’instauration du français comme langue officielle remonte à François Ier. L’idée était de procéder à l’unification linguistique pour faire progressivement l’unité nationale. À la Révolution s’est ajoutée une dimension supplémentaire, la démocratie : contrôler le pouvoir impose de parler la même langue que lui ! Les langues régionales font partie de notre patrimoine culturel. Mais il n’y en a qu’une partagée par tous, c’est le français. Les langues régionales séparent les Français, le français les rassemble. Il est indispensable que les procès-verbaux des conseils municipaux, comme tous les textes politiques, administratifs et juridiques puissent être lus et compris par tous. Le plurilinguisme pose des problèmes de traduction et ouvre la voie aux querelles linguistiques. Les défenseurs des langues régionales ont une conception figée des provinces de France.

Combien y a-t-il de Bretons en Bretagne ? D’Occitans en Auvergne ? Les phénomènes migratoires opèrent un mélange des populations qui ne peuvent se comprendre sans une langue commune. Les langues régionales sont enseignées dans les écoles de la République, ce dispositif leur donne une vigueur nouvelle et c’est une bonne chose. Mais la langue aujourd’hui menacée est le français : dans le monde, du fait de la prédominance de l’anglo-américain, mais aussi dans l’Hexagone à cause des politiques mises en œuvre depuis les années 70 et qui dévalorisent l’enseignement du français. À l’université, on est obligé de donner des cours d’orthographe, de grammaire et de vocabulaire ! La Charte européenne des langues régionales et minoritaires tend à réduire les citoyens, jusque-là libres et égaux, en éléments de groupes régionaux, voire ethniques. La perspective de reconnaître aussi les langues des immigrations revient à enfermer les migrants dans leur identité d’origine au lieu de faciliter l’assimilation à leur nouvelle patrie. Ce qui est en jeu est le maintien, à terme, de l’État-nation ou sa disparition.

« Je suis défavorable à l’application de ces articles car le Conseil constitutionnel les a censurés sur la base suivante : ils nuisent à l’unité et l’indivisibilité de la république en ce sens qu’ils créent des droits particuliers pour des locuteurs d’une langue particulière. »

Je veux m’opposer à toute dérive communautariste parce que cette dérive ruinerait des siècles d’efforts et de sacrifices pour nous construire un Etat, une nation, une république dont nous pouvons être fiers et dont nous tirons notre force. »

Quelques soutiens aux langues régionales.

Donner leur place aux langues régionales n’est pas contraire à l’unité, la diversité a toujours existé ! Transmettre une langue, c’est transmettre une histoire, un art de vivre, une culture. Et le plurilinguisme est un outil pour aller vers les autres : les Bretons sont ouverts sur le monde celtique et les Occitans, au cœur du monde latin, sont en concordance avec l’Espagne et l’Italie. Ils éprouvent aussi une grande fierté à parler leur langue, se rendent compte que c’est une richesse à ne pas perdre, qu’il faut l’entretenir, la pratiquer et l’enseigner. L’article 75-1 de la Constitution n’apporte qu’une légitimation symbolique : « Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France. » Ce n’est pas suffisant. Il faut une modification de la Constitution pour imposer leur égalité avec le français et une loi-cadre pour en développer l’enseignement, son utilisation dans les médias et mettre un terme à l’arbitraire. La signalisation routière bilingue est autorisée avec le breton et pas avec l’occitan, alors qu’à Toulouse les stations de métro sont annoncées dans les deux langues! Bien que ce soit contraire à la loi, les conseils municipaux se font souvent en corse ou en occitan parce que c’est la manière la plus naturelle de traiter les affaires de la commune. Le compte-rendu est ensuite rédigé en français, pourquoi n’y aurait-il pas deux versions? Donner leur place aux langues régionales dans la vie sociale, administrative et dans les institutions n’est pas contraire à l’unité, la diversité a toujours existé. Il y a cinquante ans, les langues régionales étaient parlées de façon courante. La République, c’est le bien commun, tout le monde doit y participer ! A terme, on peut imaginer de promouvoir aussi les langues issues de l’immigration quand elles sont parlées par un grand nombre. Bien vivre sa culture d’origine dans son pays d’accueil pourrait permettre une meilleure intégration.

« Je veux que l’on sache qu’en France on peut parler et transmettre parfaitement bien le français et en même temps parler et transmettre parfaitement bien les langues régionales qui sont les langues de notre patrimoine culturel. » La Charte vise à protéger les langues, et donc notre patrimoine, comme l’expliquait Jean-Jacques Urvoas, député PS du Finistère, en février dernier « La philosophie même de cette charte est de protéger les langues. »

La candidate à la présidentielle d’Europe Ecologie – Les Verts (EELV) expliquait à l’association des étudiants bretons de Sciences-Po Paris, Bretoned Sant-Gwilherm : 

« Les langues et les cultures régionales font partie non seulement du patrimoine 

de la France mais de celui de l’humanité. »

Moralité

Pour les opposants, la France doit rester forte dans une époque très compétitive. Les langues régionales sapent l’unité nationale, il s’ensuit que la France risque de s’affaiblir. A vérifier… Je vous propose de considérer un « petit » pays ; de plus il utilise une langue minoritaire dans le monde ; nous allons vérifier s’il s’en sort bien… ou mal. Penchons-nous sur le Danemark, un pays « perché » tout en haut de l’Europe dans la froidure du nord. 

Superficie : 42.933 km². Avec le Groenland, qui fait partie de l’Etat du Danemark, la superficie passe alors à 2.210.000 km²

Population : 5.806.000 habitants (dont 56.000 au Groenland)

PiB : 306 milliards de dollars

Langue : le danois. Cette langue fait partie des langues scandinaves (comme le norvégien, le suédois et l’islandais) qui appartiennent aux langues germaniques. Ainsi Danois, Norvégiens et Suédois communiquent correctement. Soulignons que 86% de la population parlent anglais et 47% l’allemand.

Système politique : monarchie constitutionnelle ; la reine actuelle est Margrethe II.

Après cette présentation, établissons quelques comparaisons avec la France « une et indivisible » ; ses 67 millions d’habitants rassemblés autour de sa langue unique et jouissant d’un climat tempéré. J’ai ajouté les statistiques de l’Espagne.

Indice de la « compétitivité » en 2018 (classement mondial)

10 – Danemark  17 – France 26 – Espagne

Indice de l’« Innovation » en 2018 (Classement sur 128 pays).

8 – Danemark  16 – France très loin…Espagne

Classement « Recherche et Développement » en 2018 (R&D)

6 – Danemark 12 – France très loin… Espagne

Classement pour la « Formation »

1 – Danemark  18 – France 22 – Espagne

Classement indice de « corruption » en 2018 (classement mondial)

(Du moins corrompu au plus corrompu)

1 – Danemark 21 – France   42 – Espagne

Classement indice de « corruption » en 2018 (Union européenne-28 pays) 

1 – Danemark 15 – France  16 – Espagne

Taux de chômage dans l’Union Européenne 2018 (28 pays) 

11 – Danemark 5,1%   25 – France 9,1%    27 – Espagne 14,3%

Taux de chômage chez les jeunes en 2018 (de 15 à 24 ans)

4 – Danemark 9 %  25 – France 21 %   27 – Espagne 34 %

Classement PiB par habitant Europe en 2018 (en dollars).

5 – Danemark 62.888  14 – France 43.663   17 – Espagne 33.146

Classement général des états par indice du bonheur en 2018

  1. –  paix et sécurité. 
  2. –  liberté, démocratie, droits de l’homme. 

3  –  qualité de vie. 

4  – recherche, formation, communication information, culture. 

2 – Danemark   16 – France   13 – Espagne

Comparé aux deux Etats – la France et l’Espagne – le Danemark semblait présenter beaucoup de désavantages : il est petit, il est situé dans une zone froide, sa langue est ultra-minoritaire dans le monde et pour la France… c’est un royaume.

Puis arrivent les statistiques : incroyable, ses résultats sont bien meilleurs que ceux de la France et de l’Espagne. De plus, le modèle social danois est régulièrement vanté comme l’un des plus avancés au monde. Il est caractérisé par une politique en matière d’assistance sociale faisant du pays un modèle d’Etat-Providence qui consacre 54% du PiB en 2015 pour les dépenses des administrations publiques, juste derrière la Finlande et la France. La population bénéficie de hauts niveaux de prestations sociales ; les salariés sont couverts contre un grand nombre de risques : maladie, maternité, accidents du travail et maladies professionnelles, invalidité, vieillesse, chômage. Ainsi le Danemark est une économie mixte qui a réussi. 

Ces avantages ne se sont pas fait au détriment des finances

Déficit et excédent public en 2018 :

Excédent à 0,5 % du PiB pour le Danemark.

Déficit à 2,5 % pour la France ; déficit à 2,5 % pour l’Espagne

Dette publique (c’est-à-dire endettement par rapport au PiB)

Danemark -> 34 % France 100 %   Espagne   97 %

Le Danemark n’est pas un Etat qui veut jouer dans la cour des grands.

Ce qui compte pour les gouvernants, ce sont les personnes.

C’est une affaire d’état d’esprit.

Message à ces Messieurs de Paris : 

« Vous n’avez plus d’arguments… 

alors, rendez-nous nos langues ! »