Història - Joan Villanove

En marche pour l’Histoire

L’intelligence et la sagesse d’un peuple se reconnaissent dans ses institutions ; elles ont été expérimentées et bonifiées pendant plusieurs générations. Cela semble le cours normal des choses. Pourtant, rares sont les peuples qui ont produit des lois écrites. Nous allons nous pencher sur les institutions catalanes en rappelant que les rois de France gouvernaient par des ordonnances (comme en Angleterre avant 1215).

1 – Instauration de la Trêve de Dieu à Toulouges en 1027

Durant le XI° siècle, le monde chrétien traverse une période turbulente : violences entre seigneurs et aussi contre le peuple. Dans plusieurs régions de l’Europe occidentale, on veut y mettre un terme. Ce ne sont plus des guerres à grande échelle où des centaines d’hommes s’entretuent dans une lutte au corps à corps. Maintenant, depuis leurs maisons fortifiées, les seigneurs, à la tête d’une poignée de militaires armés et entraînés, volent des petites gens comme les paysans, les artisans, les voyageurs, les commerçants ; ils enlèvent les animaux et les outils de travail en toute impunité. Parfois, ils osent piller des monuments religieux pour s’emparer de quelques pièces rares et sacrées. Ces brigandages accompagnés de violences sont tragiques sur le plan humain et ruineux sur le plan économique. L’Eglise expérimente plusieurs méthodes que l’on nomme, suivant les régions, Paix de Dieu ou Trêve de Dieu… mais aucun remède ne peut éliminer ce fléau si ancré dans les mœurs qu’il semble sans fin, comme une malédiction incurable.

Une nouvelle tentative eut lieu à Toulouges (petite paroisse de l’évêché d’Elne proche de Perpignan). Le 16 mai de l’an 1027, l’abbé Oliba se trouve dans la petite église romane devant une assemblée qu’il a convoquée ; assemblée de personnes peu puissantes, composée d’ecclésiastiques, de seigneurs et de bourgeois. On imagine les discussions passionnées. Pourtant, en fin de journée, l’abbé Oliba instaure la Trêve de Dieu dans l’évêché d’Elne, suivant un texte écrit en latin ; cette trêve devait durer du samedi après-midi au lundi matin, soit un peu moins de deux jours par semaine. Sur le parchemin, l’abbé Oliba décrète que dans un cercle d’un rayon de trente pas autour des églises de chaque paroisse, tout sera protégé : les maisons, ateliers, granges, étables… et dans l’espace libre, les gens pourront entreposer des marchandises, des outils, du bétail, etc. De plus, la Trêve de Dieu interdit d’agresser les personnes allant à l’église ou en revenant.

Que risque-t-on en cas de non-application de la Trêve de Dieu ? La personne qui ne la respecte pas sera excommuniée : peine suprême à cette époque où le lien avec Dieu était proche. L’excommunié est sanctionné : il est ignoré et exclu de la société.

En 1008, Oliba est abbé de Sant Miquel de Cuixà

Dans les jours qui suivent, l’abbé Oliba reste suspendu aux résultats. Rapidement, la paix prend racine dans l’évêché d’Elne et dans la plaine du Roussillon : les artisans, les paysans, les marchands, les voyageurs reprennent leurs activités sans craindre une attaque des seigneurs locaux. L’efficacité de la Trêve de Dieu est confirmée sur le terrain.
Les acteurs de cette initiative audacieuse n’étaient probablement pas conscients de ce qu’ils avaient entrepris et réussi. Tournant le dos aux rapports de force, la société humaine telle que l’imaginait l’abbé Oliba, venait de s’engager sur un nouveau chemin : une forme de clémence charitable était appelée à s’installer en Catalogne. « Vivez en Paix », répétait Oliba. Précisons que son père était comte de Cerdagne et normalement Oliba aurait du hériter d’une couronne ; mais à l’âge de trente ans, il avait préféré suivre des études théologiques à Ripoll. Lors de l’instauration de la Trêve de Toulouges, il avait cinquante-six ans. En 1008, il était déjà abbé de Saint-Michel de Cuixà et de Vic.

2 – Consolidation de la Trêve de Dieu à Vic. Synode présidé par l’abbé Oliba en 1033

En 1033, soit six ans après Toulouges, l’abbé Oliba convoque un synode à Vic, en Catalogne. Sont présents : pour l’Eglise, l’archevêque de Narbonne, l’Evêque d’Elna, l’Evêque de Girona, tous accompagnés de nombreux prêtres ; pour la noblesse, le comte du Roussillon, le comte de Besalú, le comte d’Empúries, le comte de Cerdanya, le vicomte de Castellnou, tous avec leurs servants ; pour la bourgeoisie, quelques artisans, marchands, hommes de loi et propriétaires. Après discussions, des textes précis sont publiés et divulgués. Ils expriment clairement plusieurs règlements pratiques de l’organisation de la Trêve de Dieu. Désormais, lors des messes, le prêtre en chaire communique les dates de la Trêve de Dieu :

« Que l’on sermonne chaque dimanche le peuple dans les églises… Seront excommuniés les falsificateurs de monnaie, leurs commanditaires et leurs clients… Qu’on fasse savoir sur les marchés que tous les marchands qui vont et qui viennent des marchés ne soient pas molestés ni inquiétés sous peine d’excommunication… Après quinze jours, l’amende sera du double de la valeur du préjudice… ».

La Trêve de Dieu promulgue plusieurs règles : protection des personnes humbles, interdiction de voler les animaux et les outils de travail, interdiction d’incendier les champs, interdiction de construire des châteaux, protection des routes terrestres et maritimes, condamnation à l’exil perpétuel pour tout homicide.
La Trêve améliorée à Vic en 1033 est portée à quatre jours plus les fêtes religieuses, soient près de trois-cents jours pas an ! Ce sont les toutes premières dispositions qui protègent les « entrepreneurs et les commerçants » de Catalogne :

L’esprit d’entreprise l’emporte sur la guerre.

C’est un choix de société fondamental partagé par le pouvoir laïque. Soulignons donc l’importance économique de la Trêve de Dieu. Vous le constatez, ce ne sont pas des réunions où on se contente de déballer des bons sentiments.

Enracinement de la Trêve de Dieu :
en Catalogne et dans le « Midi » (Occitanie, Languedoc et Provence)

En 1041, lors du concile de Nice présidé par l’évêque Riambau, ami intime de l’abbé Oliba, la Trêve est portée à quatre jours dans toute la Provence. Au synode de Narbonne en 1054, participent les plus éminentes personnes. Neuf évêques : de Béziers, d’Agde, de Lodève, de Maguelonne (Montpellier), de Nîmes, de Carcassonne, d’Albi, de Gérone et de Barcelone tous accompagnés d’une multitude de clercs et d’abbés. Suivent des nobles et des bourgeois : tous ici pour protéger et maintenir la Trêve de Dieu. Au concile de Toulouges en 1065, autour de l’archevêque de Narbonne, on reconnaît les évêques de Girona et d’Elna ; les comtes du Rosselló, de Besalú, d’Empúrias, de Cerdanya, et le vicomte de Castellnou ; et des gens du peuple. La Trêve est portée à 319 jours par an : « Que la trêve du seigneur soit gardée par tous les chrétiens depuis le coucher du soleil du mercredi jusqu’au lundi, du premier jour de l’avent jusqu’à l’octave de l’épiphanie ».

La Trêve de Dieu, née à Toulouges, est adoptée par l’ « Occitanie », le Languedoc et la Provence

Le concile de Gérone en 1068 est intéressant, car il rassemble les églises de Catalogne, d’« Occitanie », du Languedoc et de Provence. D’abord, ce concile n’a pas été convoqué par un évêque, mais par Ramon Bérenger I°, comte de Barcelone et il est présidé par Hugues Candide légat apostolique (représentant du pape). Voyons les participants. L’archevêque de Narbonne ; puis, les évêques de Catalogne : de Gérone, d’Urgell, de Vic. Les évêques d’ « Occitanie » : de Toulouse, de Comminges (c’est-à-dire Ariège, Hte Garonne, Gers, Htes Pyrénées) ; puis les abbés de Thomières (Hérault en Languedoc), Grasse (Provence), Sant Cugat (Catalogne), Galligants (Catalogne), Saint Martin du Canigou (Roussillon). Et bien sûr d’autres clercs, des seigneurs et des bourgeois.
Nous pourrions citer d’autres conciles convoqués qui ont encore amélioré et consolidé les institutions. Retenons donc que lors de ces conciles, on continue à parfaire les textes précédents et à rédiger de nouveaux textes qui assurent une paix permanente.

Incroyable, cette paix qui semblait si précaire
il y a dix, vingt, cinquante ans,
s’est installée solidement
en Catalogne, en « Occitanie », en Languedoc et en Provence.

Magnifique réussite de la Trêve instaurée à Toulouges le 16 mai 1027. Lorsque l’abbé Oliba quitte ce monde à l’âge de 75 ans, le 30 octobre 1046, l’abbaye de Sant Miquel de Cuixà (au pied du Canigou) reçut les encycliques de 92 monastères qui pleuraient sa mort.
Insistons pour rappeler que si, dans les premières années, les synodes étaient convoqués par les évêques, plus tard, ils le seront par les Comtes de Barcelone. Ils rassemblaient des ecclésiastiques (évêques, prêtres, moines), des nobles (comtes, vicomtes, seigneurs) et des bourgeois des villes (marchands, artisans, paysans propriétaires, banquiers). C’étaient donc de vastes assemblées qui regroupaient au début une bonne centaine de participants avec les conseillers et les chevaliers. Toutes ces personnes, aux intérêts très divergents, apprirent à travailler ensemble et s’entraînèrent à rédiger des « règlements » qui étaient utiles à la prospérité du pays et non à une poignée de privilégiés. Cette orientation fut spectaculaire et décisive : nous sommes au cœur de la conception politique telle que l’avaient rêvée les Catalans : le « pactisme ». Rappelons les bienfaits apportés par l’Eglise dans une société en perdition :

« Protection accordée au travailleur, au commerçant, au déshérité. Encouragement à la formation d’assemblées populaires législatives. Etablissement d’une action judiciaire équitable. Impulsion donnée aux constructions et aux œuvres publiques. Amélioration des forces armées du comte de Barcelone. Répression de la rapacité des puissants. Répression de l’immoralité ».

1060 : els « Usatges de Barcelona ».

Il y eut un changement dans la continuité : pas de révolution, le système est bonifié. Les conciles, autrefois convoqués par les évêques, le sont maintenant par le comte de Barcelone. Les règlements écrits par l’Eglise à la fin des conciles, sont réécrits par les conseillers du souverain catalan en termes juridiques valables pour tout le pays. Le pouvoir laïque prend le relais de l’église. Ainsi on change la dénomination : on passe de la Trêve de Dieu à la « Paix et Trêve de Dieu », en catalan « Pau i Treva de Déu ».
Dès 1060, le comte de Barcelone Ramon Berenger 1er et son épouse Almodis, rédigent les premiers textes qui prennent le nom de « Usatges de Barcelona ». Lisons d’abord les dispositions que le couple prend :

« Qu’il soit tenu des corts et un grand conseil. Qu’il soit donné à manger à chacun. Que chacun soit rétribué pour sa tâche. Que les lois de l’Etat soient toujours améliorées. Que les souverains soient droits, qu’ils jugent suivant le droit, qu’ils défendent le peuple, qu’ils secourent les opprimés, qu’ils fassent savoir qu’ils ouvrent leur table à tous leurs sujets sans distinction, qu’ils partagent leurs vêtements entre les grands et leur suite ».

L’Usatge N° 62 étend « la Paix et Trêve aux chemins terrestres et maritimes à tout homme à cheval, marchand et piéton. Les personnes qui les violentent devront acquitter le double du préjudice commis ». Ce n’est pas une ordonnance royale imposé par le souverain, c’est le fruit d’une lente élaboration partagée et acceptée par le peuple.

Tombes de Ramon Berenger 1er et d’Almodis, cathédrale de Barcelone.

3 – Proclamation des Corts Catalanes à Lleida en 1214

En 1214, les assemblées de nobles, de clercs et de bourgeois qui formaient un synode (ou un concile) convoqué par l’évêque, prend le nom officiel de « Corts Catalanes », c’est le Parlement des Députés.

Au centre le souverain ; puis les nobles à l’épée,
les évêques portant la mitre, les bourgeois des villes royales.

Les Corts seront désormais convoquées par le Comte de Barcelone, c’est-à-dire le pouvoir laïc qui a donc pris le relais. Avant d’être couronné, le nouveau souverain (qui en principe succède à son père comte de Barcelone et roi d’Aragon) se présente devant les Corts Catalanes. Son président déclame :

« Nous qui séparés valons autant que vous, et qui unis valons bien
davantage, nous vous faisons roi
à condition que vous respectiez nos Usatges, sinon non ».

Comparaison avec le royaume de France. Le 28 juin 1593, le « bon roi » Henri IV signait le Prologue de la loi Salique ; sa première ligne mérite d’être connue et retenue : « L’illustre Nation de France a Dieu pour fondateur ». Le roi de France ne doit rendre compte de ses actes qu’à Dieu ! C’est-à-dire que le roi est au-dessus des lois ! A partir de là, tout est permis. Un parlement de députés n’a aucune utilité : pas de contrepouvoir. Confirmé à la télé le 16 avril 2019 par Camille Pascal (historien et conseiller d’un Pt de la République) « La France est une invention politique et théologique de l’église catholique »

Comment sont annoncés la date et le lieu des Corts ? Comment sont rédigées les convocations ? Elles sont adaptées au destinataire : une pour l’archevêque de Tarragona (président de la classe des Ecclésiastiques), une autre pour le comte de Cardona (président de la classe de la Noblesse), une autre pour chaque ville royale. (En Roussillon, les villes royales qui envoient des députés sont : Salses, Perpignan, Céret, Vinça, Prats de Mollo, Collioure, Argelés…)
Lors des Corts Catalanes, le souverain en personne inaugure la session. Il prononce la « proposició » ; c’est le discours d’ouverture dans lequel il développe les problèmes à régler, en politique intérieure et en politique extérieure. Dès lors, les députés (environ 150 au XIV° siècle et 400 au XVI°) forment plusieurs commissions mixtes qui étudient chacun des problèmes : nobles, clercs et bourgeois des villes royales parlementent autour d’une table. Dans chaque commission, un « modérateur », représentant le roi, écoute les discussions ; chacun d’eux rapporte au roi installé dans une demeure voisine l’état d’avancement de chacune des commissions. On imagine les débats au sein des commissions mixtes pour tenter d’accorder les intérêts divergents des uns et des autres : le noble qui veut régler les problèmes avec son armée, le clerc qui refuse les morts et les blessés, le bourgeois qui ne veut pas perdre ses clients ! Après de longues discussions (un jour ou un mois parfois), un compromis est en vue. En fin de session, c’est-à-dire quatre à cinq semaines plus tard, les textes de ces compromis sont lus devant l’assemblée plénière des députés et votés à main levée. Le souverain, qui n’a pas assisté à ces réunions mixtes, pose la main sur la bible et s’engage à respecter ces nouvelles lois. L’ensemble de ces textes forment un livre : les « Constitucions de Catalunya ». Le peuple catalan a mis en place une monarchie constitutionnelle.

“Proposició”. En 1368, le roi Pere III el Cerimoniós est confronté à un problème en Sardaigne : les Génois, encore eux, provoquent des troubles dans l’île. Le roi convoque donc des Corts. Voilà, en résumé, comment commence son discours :

  • Premièrement : dois-je aller personnellement dans cette île pour la défendre ?
  • Deuxièmement : si oui, faut-il y aller avec une flotte importante et une armée ?
  • Troisièmement : si oui, avec des soldats catalans ou des étrangers ?

Puis le roi développe chacun des points : le souverain ne pouvait déclarer une guerre à l’extérieur sans l’accord des Corts Catalanes.

Proposició”. En 1406, Martin I° l’Humain lors des Corts Catalanes de Perpignan le 26 janvier, clamera lors de son discours d’ouverture, la « proposició » :

« Quel est le peuple au monde qui ait autant de franchises et qui soit aussi libre que vous ? Car il se trouve que tous les peuples du monde, ou la majeure partie, sont soumis à des taxations suivant la volonté de leur seigneur ; or vous, vous êtes dispensés de toutes ces taxations »

Aucun impôt ne pouvait être engagé sans avoir été accepté
au préalable par les Corts Catalanes : c’est le « donatiu ».

Dans le royaume de France, il existait des Parlements ; mais ils rendaient la justice en appel (souvent) et se contentaient d’enregistrer les ordonnances royales ; c’est le cas de quelques villes comme Toulouse en 1443, Bordeaux en 1462, Rennes en 1551, etc. Donc, aucun point commun avec les Corts Catalanes (un Parlement donc) dont les députés rédigeaient des lois.
Précisons que les Corts Catalanes se réunissent tous les trois ans, que la session dure environ quatre à cinq semaines et chaque fois dans l’une de ces cinq villes : Barcelona, Perpinyà, LLeida, Tortosa, Girona (parfois une étape à Vilafranca, Montblanc, Cervera)
Entre 1480 et 1706. Les villes royales, qui envoyaient des députés aux Corts, étaient chez nous (Catalogne Nord) : Salses, Perpinyà, Argelers, Cotlliure, el Voló, Prats de Molló, Tuïr, Vinçà, Vilafranca de Conflent, Llivia. Il en résulte une certaine fierté des habitants de ces villes qui transpire encore aujourd’hui… sans qu’ils en connaissent la vraie raison. Les villes royales envoyaient un « député » sauf Barcelona, Lleida, Girona et Tortosa deux députés ; Perpinyà trois… mais chaque ville royale a une voix. Il y avait aussi des « Corts Generals » qui rassemblaient les députés de la Catalogne, de l’Aragon et de Valencia, mettant en pratique le système d’une Confédération (58 villes royales y participent).

A la fin de la session, les députés donnent une « abraçada »
(accolade) au roi ! Impensable avec les rois de France.

4 – La Charte Communale :
le « Consolat de la Vila a Perpinyà », 1197


Nous voilà à Perpignan. En janvier 1197, Pierre Ier comte de Barcelone et roi d’Aragon arrive dans la ville. Les bourgeois l’attendent et sollicitent un entretien. Il engage des discussions avec cette assemblée. Finalement, sans conflit, sans violence, que ce soit avec le roi, ou avec les autorités de l’Eglise, Pere I° va signer la Charte, le 23 de février 1197
Dans le royaume de France, l’instauration des Chartes communales s’est souvent déroulée dans un climat d’une violence inouïe, comme à Sens, Laon, Le Mans, etc.

Un exemple. Lyon et sa région, sous l’autorité de l’archevêque, faisaient partie de l’Empire germanique à vocation fédéraliste. Les bourgeois souhaitaient une charte communale. En sous main, les rois de France ont fomenté des révoltes contre les biens de l’église (incendies d’églises et de cloîtres), puis contre certains nobles… de nombreux bourgeois subirent la pendaison et des membres du clergé jetés dans une prison à Macon ; lors d’une seule bataille, on a compté une centaine de morts. Le pactisme ? On ne connaît pas. Finalement, après 50 ans de violences, la Charte a été accordée en 1320 et Lyon s’est trouvée directement placé sous le roi de France. L’Empire germanique devait-il faire la guerre à Philippe le Bel ?

Revenons à Perpignan. Puis, on procède à l’élection des Consols de la Vila (le conseil municipal) qui sont élus pour un an. Ils gèrent la ville : hôpital, bâtiments communaux, police, propreté, impôts, défense de la ville, éclairage des pharmacies la nuit, etc. ; en cas de litige, même avec un noble hors de la ville, c’est un jury de Perpignan qui rend la justice : elle est totalement indépendante. L’habitude du compromis, inaugurée lors de la Trêve de Dieu de Toulouges en 1027, a joué pleinement son rôle.

Plaque apposée sur le mur de la cour de la mairie de Perpignan
lors du 800ième anniversaire de la Charte
Le texte commence par…
« pactada entre el comte Pere I°…i el poble de la vila de Perpinyà… »

Les autres villes catalanes suivirent peu à peu. Perpignan a obtenu sa charte communale en 1197. Puis Canet 1238, Céret 1282, Thuir 1293, Collioure 1294, Villefranche 1302, la Roca Albères 1306, Torreilles-Bompas-Pia en 1320, Prats 1321, etc. A Perpignan, l’élection s’organise à partir du « Registre des Matricules » qui compte trois listes ; les bourgeois très riches, les riches et les moins riches ; pour simplifier, du banquier à l’artisan

Trois Mains fixées sur le mur de la Mairie de Perpignan rappellent cette disposition.


Pas de représentants de la noblesse ni du clergé. L’assemblée des élus, dans laquelle sont répartis équitablement les hommes des trois listes, forme « el consolat de la vila ».

Sortie du Consolat de la Vila de Perpignan : les musiciens,
suivis des porteurs des Masses (symbole du pouvoir)
et enfin les Consols élus

* Voici une anecdote qui donne sa vraie valeur à la Charte.

Proche de Perpignan, vivait le seigneur Jordi de Vilaclara ; il voulut punir une famille d’ouvriers, celle de Guilhem Coll. Mais, elle s’était réfugiée à Perpignan et résidait maintenant dans la ville dotée d’une Charte. Alors le seigneur écrivit : « Si Coll et ses enfants tombent un jour en mon pouvoir, je les enfermerai en un lieu où ils ne verront, ni le soleil, ni la lune, je les priverai de nourriture et d’eau… é els feré menjar els uns als altres » (je les ferai manger les uns par les autres… probablement excessif mais explicite sur la puissance de la Charte). Si Jordi de Vilaclara tentait de s’emparer de Guilhem, la ville de Perpignan avait le droit d’organiser la Mà Armada (La Main Armée), c’est-à-dire que les Perpignanais armés avaient le droit d’attaquer la maison fortifiée de Jordi de Vilaclara pour libérer Guilhem Coll ; et s’il y avait des morts et des blessés, il n’y aurait aucune poursuite judiciaire.

* Voici un autre exemple à Thuir.

La ville possède une charte communale. En 1599, le seigneur de Llupia n’arrive pas à retenir sa colère, il écrit : « comme la ville est fortifiée et très riche, les habitants sont orgueilleux et violents ». En vérité, certains nobles détestaient les libertés communales

* Voici un autre exemple.

Un jour, le comte de Barcelone, Pere el Cerimoniós, fut sollicité pour régler un problème à Tortosa qui avait une Charte Communale. Il écrivit :
« Dans les causes criminelles et civiles de la juridiction de Tortosa, la pleine compétence appartient seulement à la ville et aux élus de Tortosa, étant présent le Batlle, sans que le roi, la reine et le duc ne puissent s’entremettre dans ces choses ».
On est loin de Louis IX, roi de France (Saint-Louis), qui rendait seul la justice sous un chêne.

Revenons à Barcelona.

Le Consolat de la Vila portait le nom de « Consell de Cent », c’est-à-dire cent élus sur le même principe qu’à Perpignan. En 1453, lors de l’assemblée du 17 novembre, un marchand Ramon Guerau lance une proposition :

Salle du Consell des Cent de Barcelone.

« Gérer la ville, c’est penser au bien public et non à sa richesse personnelle. Les petits artisans ne connaissent pas le fonctionnement de la municipalité de Barcelone, peu importe ils ont droit aux responsabilités ». Mais, certains riches bourgeois refusent avec exaltation. Alors Ramon Guerau clame : « Nous ne voulons pas que Barcelona, qui est la tête des libertés dans les royaumes d’Espagne soit en pleurs ». D’autant plus, que quelques clercs, nobles et riches bourgeois soutiennent le « petit peuple ». Après des discussions houleuses…, les petits artisans vont intégrer le Consell des Cent… qui passera ainsi à 128, c’est-à-dire 32 élus de chacune des Quatre Mains. Preuve d’une grande ouverture.

Les Consols de la Vila de Barcelona avaient voté le « privilège de couverture » :
ils restaient couverts devant le souverain
et même à l’église (retable à la cathédrale de Barcelone) …

Impensable ailleurs…

5 – Fondation du gouvernement de la Generalitat à Cervera, en 1359

Les Catalans avaient déjà remarqué qu’il y avait un manque de lien entre deux sessions des Corts Catalanes : trois ans. En 1359, le souverain Pere el Cerimoniós (c’est lui qui a fait construire le Castillet à Perpignan et qui a fondé l’Université de Perpignan) donne son accord pour créer un gouvernement qui siègera à Barcelone entre deux sessions des Corts Catalanes. Ainsi est né le gouvernement de la « Generalitat » : la proclamation a été faite à Cervera. Dans ce premier gouvernement de sept élus, deux Roussillonnais : Pere Borró de Perpignan et Pere Arnau de Peyrestortes.
Plus tard, il n’y aura que trois élus. Son président, élu en fin de session des Corts Catalanes, est toujours un ecclésiastique (évêque, chanoine, abbé, etc.), secondé par deux « vice-présidents » un noble et un bourgeois, élus eux aussi.
Donc entre 1359 et 1714, le président de la Generalitat a toujours été un ecclésiastique (certains originaires du « Roussillon »); ainsi religieux et laïcs ont su travailler ensemble pendant trois siècles et demi… comme ils l’avaient pratiqué la première fois à Toulouges en 1027, ce qui fait donc sept siècles de décisions partagées entre religieux et laïcs de 1027 et 1714.
Au début, le gouvernement de la Generalitat ne s’occupait que de la répartition des impôts ordinaires et extraordinaires ; dans le même temps, il s’assurait que le souverain appliquait les lois des « Constitucions de Catalunya ». Peu à peu, elle va acquérir des biens propres : immeubles, bateaux, moulins, etc. Plus tard elles seront imprimées.
Ci-dessous, le monument à Cervera qui commémore la fondation de la Generalitat (1982)

Au balcon du bâtiment (au-dessus de la statue de Sant Jordi), on reconnaît le bourgeois élu à la Generalitat en 1597 : c’est Jaume Riu, bourgeois de Perpignan.
A sa gauche (masqués par le visage de la statue), les visages du Président
(Boteller abbé de Poblet) et du noble (Tamarit)

6 – Comment tout se termine dès le traité des Pyrénées « imposé » en 1659

Malgré ses engagements écrits et signés, Louis XIV supprime les Corts Catalanes et d’autres institutions de Perpignan. Imposition de la gabelle (1661… qui était supprimée en Pays Catalan depuis 1283). Nomination d’évêques non catalans (1673). Incorporation du diocèse de Perpignan à l’archevêché de Narbonne (1678). Obligation de connaître le français pour exercer une profession libérale (1682). Interdiction de la langue catalane dans la justice et les actes notariés (1700). Introduction du papier timbré (1712). Il s’ensuit que les révoltes se multiplient : elles sont durement réprimées.
Après un siège meurtrier de 60 jours, Barcelone est prise le 11 septembre 1714 par une armée composée aux deux-tiers de militaires français, commandée par Berwick, un maréchal français. Le nouveau roi d’Espagne, Philippe V, petit-fils de Louis XIV, met en place le statut de « Nova Planta » : il supprime les Corts Catalanes, la Generalitat et beaucoup d’autres institutions… et interdit la langue catalane. Les élections supprimées, le pouvoir impose ses nominations.De part et d’autre des Pyrénées la résistance des Catalans fut anéantie par une répression impitoyable : condamnations à mort et la tête des condamnés placés dans une cage de fer à l’entrée des villes (Barcelone, Perpignan, Salses, Villefranche), démolition de remparts, de maisons, d’églises, etc.
Et le royaume de France ? Il est ruiné. En 1715, date de la mort de Louis XIV, la situation financière de la France était dramatique : guerres continuelles et constructions pharaoniques du roi soleil ont endetté l’Etat !

L’écossais John Law est appelé en France pour offrir ses services. Il devait appliquer les solutions financières qui fonctionnaient déjà en Grande-Bretagne. Il est surpris par le système politique français : « Savez-vous que ce royaume de France est gouverné par trente Intendants. Il n’y a aucun parlement, ni régions autonomes, ce sont trente maîtres desquels dépend le bonheur ou le malheur des gens ».

Sachez qu’en Angleterre, le Parlement des députés avait été mis en place en 1215. Effectivement, l’Intendant nommé par le roi et secondé par un délégué, tient tous les pouvoirs dans ses mains : armée, marine, justice, finances, commerce, agriculture, éducation publique, relations avec le pouvoir laïque et spirituel…
Désormais, en France comme en Espagne, les rois vont gouverner par des Ordonnances. Tout à l’opposé des institutions catalanes. C’est la fin de la Monarchie Constitutionnelle : la domination de l’Etat a éliminé la liberté individuelle et affaibli l’esprit d’entreprise.

En 1932, la République d’Espagne est proclamée et la Generalitat est restaurée à Barcelone. Le nom de la Generalitat est conservé alors que la société a changé : noblesse et clergé n’ont plus le même poids. Durant la période franquiste, les présidents sont en exil. A la mort de Franco en 1975, les présidents sont à nouveau élus. Actuellement, Quim Torra est le 131e président du gouvernement de la Generalitat. Malgré toutes les vicissitudes, soulignons la permanence du nom du gouvernement pendant plus de six siècles : la Generalitat.

Après cette lecture, vous serez sensible au discours
du violoncelliste et compositeur
Pau Casals

DISCOURS DE PAU CASALS À L’ONU (24 octobre 1971)

« C’est le plus grand honneur que j’ai reçu dans ma vie. La paix a toujours été le plus grand de mes soucis. Enfant déjà, j’ai appris à l’aimer. Quand j’étais petit, ma mère, une femme d’exception, de génie m’en parlait déjà, car à l’époque aussi il y avait de nombreuses guerres. De plus, je suis catalan. Bien avant l’Angleterre, c’est en Catalogne que l’on trouve le premier Parlement démocratique. Et c’est dans mon pays qu’ont été créées les premières nations unies. A cette époque, au XIe siècle, les Catalans se réunirent à Toulouges, en France aujourd’hui, pour y parler de paix, car en ce temps-là, les Catalans étaient déjà contre, CONTRE la guerre. C’est pour cela que les Nations Unies, qui travaillent uniquement à l’idéal de la paix, ont une place dans mon cœur, car tout ce qui touche à la paix me va droit au cœur. »

Les dates clés
Instauration de la Trêve de Dieu à Toulouges – 1027
Consolidation de la Trêve au Concile de Vic – 1033
Proclamation des Corts Catalanes à Lleida – 1214
Fondation de la Generalitat à Cervera – 1359

Voilà noir sur blanc…
…quelques pages fondamentales de l’histoire de la Catalogne.

Joan Villanove

What do you want to do ?

New mail

What do you want to do ?

New mail

What do you want to do ?

New mail

One comment on “En marche pour l’Histoire

Comments are closed.