Procès de la démocratie

Dans l’attente du verdict, la tension à son comble

Bruits de bottes et censure politique contre les Catalans en Espagne

Dans l’attente du verdict du procès contre les indépendantistes catalans annoncé pour la semaine du 14 octobre, la tension est allée crescendo ces derniers jours en Espagne et en Catalogne. La société se prépare à des manifestations massives, les élus et les politiques lancent des appels à la désobéissance civile et les syndicats ont annoncé des grèves générales.

Dans la perspective du verdict et des réactions de la société catalane, le pouvoir espagnol donne des signes d’inquiétude et combine préparatifs policiers et menaces verbales. Les bruits de botte ont monté d’un cran avec l’envoi en Catalogne de milliers de policiers et guardias civils (de l’ordre de 5 000 effectifs), alors que l’ordre public en Catalogne est compétence des Mossos d’esquadra, la police catalane. Les forces de police ont été déployées devant différents points stratégiques et édifices publics. Les policiers espagnols ont même commencé à procéder à des contrôles « anti-terroristes » à l’intérieur de la Catalogne et des patrouilles militaires se promènent ostensiblement dans les rues. Plus grave encore, cette semaine, des hauts gradés de la Guardia Civil et de la Policia Nacional (le général de ce corps commandant la Catalogne et un commandant à Girona) ont tenu des discours politiques explicitement hostiles aux indépendantistes en affirmant leur dévouement total à l’intégrité de l’Espagne (la devise de la Guardia Civil est « Todo por la patria » – tout pour la patrie). Non seulement ces discours politiques d’une autre époque de la part de militaires et de policiers n’ont pas été condamnés par le ministre de l’intérieur, mais le gouvernement espagnol les a repris à son compte et a félicité les forces de l’ordre. Les propos du général de la Guardia Civil ont même pris pour cible la police catalane sommé de faire son travail au service de l’Espagne, à tel point que les responsables des Mossos d’Esquadra présents ont quitté les lieux.

Censure politique contre les institutions et les médias

La dérive autoritaire espagnole a également franchi un cran cette semaine avec l’instauration d’un véritable régime de censure politique. Tribunaux et gouvernement espagnols ont interdit aux médias publics catalans (TV et radios de la Generalitat) d’utiliser les termes « exilés », « prisonniers politiques » et « Consell de la República » (l’organisme créé à Bruxelles par les ministres catalans exilés et le président Puigdemont). La justice a aussi interdit au Parlement de Catalogne et au président de la Generalitat sous peine de sanctions pénales de débattre ou d’adopter des motions concernant le roi, la constitution, l’indépendance et l’autodétermination. De même l’autorité électorale espagnole a ordonné à toutes les administrations catalanes de retirer les rubans jaunes et toute banderole des édifices publics. Même les messages sans signification politique explicite ont été interdits (une mairie avait affiché une banderole indiquant « Tu ja m’entens » (on se comprend) accompagné d’un emoticon avec une fermeture éclair sur la bouche. Dans le même temps, les mêmes autorités judiciaires et administratives autorisent l’emploi par les institutions et les médias espagnols des termes de « terroristes », « putschistes », « délinquants en fuites » pour désigner les indépendantistes. Et les 7 détenus CDR pacifiques accusés de terrorisme sont toujours au secret dans les prisons madrilènes.

Préparatifs pour une mobilisation permanente

Les manifestations de protestation ont commencé ce vendredi 11 octobre à Barcelone avec des groupes de CDR (comités de défense de la République) qui ont interrompu la circulation sur des grandes artères de la capitale catalane. Dans tout le pays, les CDR, l’organisation Tsunami democràtic, l’ANC (Assemblea Nacional Catalane) et Òmnium Cultural, les syndicats et même la CCI de Barcelone (dirigée par une équipe indépendantiste récemment élue) se préparent à répondre immédiatement à l’annonce du verdict. Six marches à travers la Catalogne et qui convergeront vers Barcelone sont programmées. Les mobilisations et manifestations, grèves et mouvements de toutes sortes sont prévues pour la semaine du 14 octobre et envisagent des actions « permanentes » destinées à une protestation et une résistance sur le long terme : grèves, blocage des accès à la Catalogne, débrayages des lycéens et des étudiants, désobéissance civile pacifique des citoyens et des institutions…

L’état d’exception envisagé

Le gouvernement de Pedro Sanchez qui sait pouvoir compter sur le soutien de la droite et de l’extrême droite envisage tous les jours de recourir à nouveau à l’article 155 de la constitution pour suspendre l’autonomie en Catalogne (même sans l’approbation indispensable du Sénat actuellement dissous). Les socialistes ont même évoqué la possibilité d’utiliser d’autres dispositions légales comme l’état d’exception qui ne nécessite pas le soutien du législatif mais qui équivaudrait à une mise sous tutelle directe de la Catalogne par les forces de police et militaires espagnoles.

Irrégularités et recours ignorés pour les prisonniers et les élus

Alors que le verdict du Tribunal suprême est attendu, les prisonniers – Jordi Cuixart, président d’Òmnium Cultural – et Jordi Sànchez – ex-président de l’ANC – arrivent au terme des deux années de « prison préventive » maximum sans que leurs demandes de remise en liberté ne soient acceptées. Les multiples recours contre les graves irrégularités de procédure du procès et des détentions sont régulièrement rejetés ou ignorés. Mêmes les demandes de l’ONU ou des organismes internationaux comme International Trial Watch, la Fédération internationale des droits de l’Homme et EuroMed Rights (Réseau euro-méditerranéen des droits de l’Homme qui a rendu des rapports accablants et dénoncé un procès politique évident, ne sont pris en considération. Pas plus que les demandes des élus indépendantistes au Parlement européen, empêchés de siéger par Madrid et par les instances européennes qui font fi des principes élémentaires du fonctionnement démocratique de l’UE. Au contraire, l’UE n’a vu aucun inconvénient à approuver cette semaine la nomination de José Borrell, socialiste férocement antiindépendantistes à la fonction de commissaire européen aux affaires étrangères, malgré ses déboires et condamnations avec la justice pour délits d’initiés. L’Espagne qui refuse toujours – et encore plus par la voix de cet ultra-nationaliste – de reconnaitre l’indépendance du Kosovo vient même cette semaine d’apporter son soutien à l’intervention turque contre les Kurdes…

 Alà Baylac-Ferrer