Procès de la démocratie

Appels à la désobéissance civile

et préparation de manifestations sur fond de crise institutionnelle espagnole

Vendredi 20 septembre 2019 à Barcelone deux manifestations ont marqué le deuxième anniversaire du début de la répression espagnole contre l’indépendantisme catalan. Le 20 septembre 2017 une vaste opération de la police espagnole était déclenchée par Madrid pour tenter d’empêcher le référendum. Plusieurs hauts fonctionnaires du gouvernement catalan étaient arrêtés pendant que de nombreux locaux des ministères de la Generalitat étaient perquisitionnés et la police essayait d’entrer – sans mandat – dans les locaux de la CUP. Spontanément et à l’appel des organisations civiques ANC (Assemblea nacional catalana) et Òmnium Cultural, d’immenses mobilisations citoyennes pacifiques se produisaient devant les bâtiments perquisitionnés. C’est à la suite de ces manifestations que les présidents de ces associations, Jordi Sànchez et Jordi Cuixart, étaient détenus et sont depuis en prison « préventive », accusés de sédition et de rébellion. Ils attendent le verdict du procès qui a eu lieu au printemps à Madrid ; ils risquent plus de 15 ans de prison.

La deuxième manifestation qui a eu lieu vendredi s’est tenue devant la caserne de la Guardia Civil à Barcelone où avait été mis en garde à vue les fonctionnaires de la Generalitat. Une vingtaine de militants d’extrême droite se sont rendus sur les lieux pour faire face aux manifestants indépendantistes et provoquer des incidents ; ils ont été séparés par un cordon de la police catalane qui a évité tout affrontement.

La tension monte

Ces manifestations illustrent le climat qui règne en Catalogne à l’approche du verdict contre la douzaine de leaders associatifs et de ministres du gouvernement catalan, ainsi que de la présidente du Parlement, emprisonnés depuis deux ans. La tension a sensiblement monté ces derniers jours sur fond de crise institutionnelle espagnole. Pedro Sanchez et les socialistes qui ont refusé de s’allier avec la gauche de Podemos pour mettre en place un gouvernement et qui espérait l’appui ou au moins l’abstention de la droite du PP et de Ciudadanos, est contraint – ou peut-être était-ce ce qu’il attendait depuis le début – de convoquer de nouvelles élections législatives, celles du mois d’avril n’ayant pas permis de désigner un gouvernement. La perspective n’est guère meilleure du fait de la fragmentation du paysage politique espagnol et le refus de tout dialogue avec les partis catalans indépendantistes, mais les forces espagnolistes comptent sur une amélioration de leur score pour arriver à former un gouvernement. Soit que les socialistes arrivent à obtenir une majorité plus large, soit que PP, Ciudadanos et l’extrême droite – comme ils le font déjà dans plusieurs régions – obtiennent ensemble la majorité absolue. Un résultat inchangé maintiendrait l’Espagne dans la plus grave crise institutionnelle depuis la fin de la dictature franquiste. Voire pourrait être plongée dans une situation plus grave encore en fonction du verdict du procès politique contre les indépendantistes et de la réaction de la société catalane.

Le président catalan appelle à la désobéissance

Une autre illustration de la tension ambiante sont les appels, dont le dernier lancé ce week-end par la plus haute autorité catalane, le président Quim Torra lui-même, appel à la « désobéissance civile et à défendre les libertés jusqu’aux dernières conséquences » si le verdict n’est pas un acquittement des accusés. Les associations civiques, les syndicats, les groupes informels – comme les CRD, Comités de défense de la République – se préparent à des mobilisations importantes et à une résistance aux décisions que pourraient pendre les autorités espagnoles. Tout le monde évoque déjà une grève générale, des blocages des transports ou des manifestations permanentes. Le président d’Òmnium Cultural depuis la prison a indiqué qu’il encourageait la population à répondre pacifiquement mais fermement au verdict et qu’il fallait se préparer à une « résistance de type anti-franquiste » qui serait nécessaire pour faire respecter la démocratie et les droits du peuple catalan à disposer de son propre destin. Il a clairement indiqué qu’il refuserait toute mesure d’assouplissement de son incarcération ou de réduction de peine et qu’il n’accepterait que l’acquittement ou l’amnistie. Les prisonniers politiques depuis la prison se préparent également à réagir en fonction du verdict.

Menaces et répression judiciaire

Le verdict du Tribunal suprême espagnol est attendu pour début octobre. Les rumeurs – ou fuites – de l’appareil judiciaire font déjà état de peines lourdes. Certaines voix politiques avancent même que les prisonniers seraient transférés hors de Catalogne. Pendant que la droite et l’extrême droite espagnole appellent tous les jours à suspendre l’autonomie catalane et à interdire les partis indépendantistes. Pedro Sanchez de son côté est explicite : il suspendra l’autonomie sans hésitation si nécessaire pour préserver l’intégrité de l’Espagne. Par ailleurs, le Tribunal supérieur de Catalogne vient encore cette semaine d’enjoindre le président catalan de retirer les banderoles demandant la liberté des prisonniers politiques de la façade du Palais de la Generalitat sous peine d’importantes amendes et de suspension de ses droits civiques, qui équivaudrait une fois encore à destituer le président catalan. Celui-ci a immédiatement refusé. Ceci alors que le premier procès pour les mêmes raisons contre Quim Torra a été reporté au mois de novembre. Les procès contre les responsables de la police catalane et plusieurs hauts fonctionnaires viennent de s’ouvrir ; ils doivent répondre des accusations de rébellion, sédition et appartenance à organisations criminelles…

Les indépendantistes catalans (emprisonnés sans jugement et éxilés), tous sans aucune condamnation, ne sont toujours pas autorisés par Madrid à exercer leur fonction d’élus, ni aux Cortes, ni au Parlement européen, ni au conseil municipal de Barcelone, ni au Sénat. Cette semaine la justice belge vient de décider que le rappeur Valtònic, réfugié à Bruxelles après que l’Espagne l’accuse d’apologie du terrorisme pour les paroles de ses chansons, n’avait pas à être extradé et que les autorités espagnoles n’étaient pas en droit de d’utiliser contre lui un mandat d’arrêt européen. La Cour de justice de de l’UE de son côté continue de retarder sa décision concernant l’immunité parlementaire d’Oriol Junqueras (et du coup aussi de Puigdemont et Comín) empêché par l’Espagne et par les institutions de l’UE de prendre ses fonctions de député européen.

 Alà Baylac-Ferrer