Procès de la démocratie

Des gardes civils « agressés par des regards haineux »

et interdiction par le juge de visionner les vidéos.

Sixième semaine du procès de Madrid (20 jours de séances et les visages fatigués des prisonniers obligés d’être présents de 8 heures à 20 heures pour entendre les comparaisons qui illustrent les conséquences de ce procès pour le mons insolite). Les interrogatoires des témoins continuent. Le numéro 2 du ministre espagnol des Finances, Felipe Martinez Rico, sous-secrétaire aux Finances, n’a pu montrer aucune malversation ni paiement irrégulier de la Generalitat pendant la période où les finances catalanes étaient strictement sous le contrôle du gouvernement espagnol, malgré les tentatives incessantes des accusations (procureur et avocat de l’État) de suggérer et de faire dire au témoin que des paiements “irréguliers” liés à des “activités illégales” étaient toujours possibles.En català

Parmi les témoignages qui ont défilé toute la semaine, des dizaines de gardes civils (une dizaine par jour) ont été convoqués pour «démontrer la violence des Catalans» en septembre-octobre 2017 alors qu’ils tentaient d’éviter le référendum. Toujours protégés par l’anonymat (ils ont tous refusé d’être filmés et sont présentés avec leur numéro de matricule), ils décrivent une réalité catalane “terrifiante” qui cherche à constituer la preuve indispensable de l’accusation pour justifier les charges de «rébellion et sédition» et les condamnations demandées. Tous ces agents qui ont enquêté sur les accusés, qui ont participé à des perquisitions ou sont intervenus brutalement contre les électeurs les jours du référendum ont raconté des “récits fantaisistes” (selon les mots de Gozalo Boye, avocat de Puigdemont), récits qui coïncident exactement avec la phraséologie des accusations (procureur, magisrats instructeurs et avocat de l’Etat). Les récits des “témoins” ont à tout moment le soutien du président du tribunal, Manuel Marchena, qui, selon Gonzalo Boye, “interprète la loi, refusant de confronter les déclarations aux documents du dossier” (vidéos, mails…). Les “agressions” rapportées par les policiers, lorsque les défenseurs de la défense demandent des éclaircissements, sont, par exemple, des “regards de haine et de rage sur le visage des gens”, ou le lancement d’une bouteille (“une pluie d’objets” ), ou même des manifestants avec des urnes en carton assis devant les bureaux de vote (“une foule hostile comme je n’en ai jamais vue dans toute ma carrière et comparable climat de violence du Pays Basque peu avant l’apparition de l’ETA”).

Tension croissante et protestations des avocats

Face à autant de déclarations clairement mensongères et d’irrégularités dans les procédures judiciaires (et pendant l’instructions, comme le montre les comparutions), la tension entre les avocats et le magistrat du Tribunal suprême augmente chaque jour, avec des demandes répétées et systématiquement rejetées de demande de production de documents et les protestations formelles qui s’ensuivent. Autant d’anomalies qui semblent constituer, de plus en plus, une violation des droits de la défense. À maintes reprises, dans les questions très précises de la défense (des dates, par exemple), les témoins ont répondu qu’ils “ne s’en souvenaient pas”, sans que le président du tribunal ne soit intervenu pour sanctionner ou avertir le témoin par un “faux témoignage”, alors que c’est ce qu’il a fait la semaine dernière quand un employé de la Generalitat a répondu qu’il ne se souvenait pas de ce qu’on lui demandait.

La presse espagnole (à Madrid et à Barcelone, teles, El Pais, La Vanguardia…) insiste sur ces récits (surréalistes pour la presse catalane) et, par rapport aux interventions plutôt ridiculisées du début du procès, tend à donner crédit -grâce à l’accumulation de déclarations de police- aux thèses de l’accusation. L’avocat Gonzalo Boye s’inquiète de ce qu’il qualifie de “décor” destiné à éviter de trancher de véritables questions : les Catalans ont-ils ou non le droit de manifester et de s’exprimer librement, ont-ils ou non le droit de voter et de décider de leur destin en tant que peuple ?

La répression politique se poursuit avec les “rubans jaunes”

La semaine a également été marquée par une recrudescence de répression politique contre les institutions catalanes. À la demande de Ciudadanos et du PP, La Junta electoral central (Conseil électoral central, organe composé de juges du …Tribunal Suprême -2 font même partie des magistrats dans le procès contre les Catalans!- et de juristes nommés par les partis espagnols) a ordonné à toutes les administrations de retirer des bâtiments publics ce qu’ils considèrent comme une “symbologie partisane” (rubans jaunes, affiches dénonçant les prisonniers politiques ou revendications de la liberté d’expression, drapeaux catalans indépendantistes), le justifiant par le fait que la période préélectorale a commencé. Une gesticulation espagnoliste visant à marquer le territoire et qui excite et déstabilise les partis indépendantistes, tout en s’inscrivant dans une stratégie de campagne électorale marquée par la voix de plus en plus forte de l’extrême droite, des populistes et des nationalistes espagnols: manifestation contre l’avortement, promesse de suspendre les autonomies indéfiniment, recentralisation des compétences financières, éducatives, policières, linguistiques et médiatiques, de ceux qu’ils présentent comme un possible gouvernement “trifachita” (“trifacho”, faisant référence à l’alliance PP-Ciudadanos-Vox). D’autres voix évoquent la possibilité – malgré les démentis des partis intéressés, d’une éventuelle alliance après les élections entre les socialistes et Ciudadanos, contre les indépendantistes.

300 Italiens pour la libération des Catalans

La même semaine, a été rendu public le manifeste signé par plus de 300 hommes politiques et intellectuels italiens dénonçant la situation “d’anomalie démocratique” en Espagne, qui appelle à la libération des prisonniers catalans et proteste contre la criminalisation de la désobéissance civile pacifique. Òmnium Cultural de son côté a appelé à la défense des droits et des libertés par la désobéissance. L’association a signalé qu’elle compte actuellement 162 000 membres qui ont versé près de 10 millions d’euros de cotisations et prévoit d’atteindre les 200 000 membres. De nombreuses voix en l’Espagne commencent à s’inquiéter de l’utilisation de la question catalane comme prétexte pour engager le pays dans une dynamique réactionnaire et antidémocratique, limitant les libertés et la liberté d’expression grâce aux décisions du Tribunal suprême qui fixeront la jurisprudence.

Alà Baylac-Ferrer