Procès de la démocratie

Les déclarations scandaleuses du ministre de l’Intérieur

qui ne se rappelle de rien et “ne contrôlait rien” lors du référendum.

Le neuvième jour du procès, le jeudi 28 février, contre les indépendantistes catalans, ont continué à défiler à la barre les témoins : Iñigo Urkullu, président (lehendakari) du Pays basque, Gabriel Rufián (député d’ERC aux Cortes espagnoles) ), Albano Dante Fachín, ex-député au Parlement de Catalogne, Ernest Benach, ex-président (ERC) du Parlement de Catalogne, Juan Ignacio Zoido, ex-ministre de l’Intérieur de Rajoy, Xavier Domènech (ex-député Podem), Josep Ginesta, secrétaire général du Travail de la Generalitat, Francesc Iglésies, secrétaire aux Affaires sociales de la Generalitat, Adrià Comella, secrétaire de la Generalitat (les trois poursuivis par la justice n’ont pas voulu déclarer).

En català

Le président du Tribunal Suprême, Manuel Marchena, a changé notablement d’attitude. Relativement équanime jusqu’ici, il s’est évertué cette semaine à limiter les questions adressées aux témoins aux seuls faits paour lesquels les avocats les avaient appelés, malgré les protestations des avocats de la défense qui avaient explicitement demandé que le même traitement soit appliqué à l’accusation. Par ce mécanisme, le juge a tenté d’éviter les commentaires politiques et les commentaires juridiques des chefs d’accusation. Principe qui ne s’était pas appliqué aux témoignages de Rajoy ou de Saénz de Santamaría. Il a plusieurs fois coupé ou rejeté des questions relatives à la défense qu’il considérait comme “non pertinentes” ou refusait de visionner des vidéos de violences policières.

Le président basque a détaillé à la barre tous les efforts, propositions et démarches faits par lui-même et par le président Puigdemont pour tenter d’ouvrir le dialogue avec le président espagnol, ce qu’il a toujours refusé. Ce dernier a même refusé d’assurer qu’il ne suspendrait pas l’autonomie catalane même si le président catalan convoquait des élections. Son témoignage contredit directement les déclarations de Rajoy selon lesquelles il a déclaré qu’il ne se souvenait pas d’avoir parlé au lehendakari basque en tant que médiateur.

Les députés devant le tribunal ont confirmé que les manifestations devant le ministère de l’Économie de Catalogne le 20 septembre 2017 étaient à tout moment pacifiques et sans aucune violence. Incité à dire que les manifestants avaient endommagé les véhicules de la police, Dante Fachín a répondu qu’il n’avait vu qu’une vingtaine de journalistes munis d’appareils photo et de caméras juchés sur les voitures de la Guardia Civil.

La maire de Barcelone, Ada Colau (Podem), a décrit la manière dont les citoyens de Catalogne avaient participé au référendum avec sérénité et pacifisme, et s’est déclarée horrifiée par les “événements graves” (les violences policières du 1er octobre), qui avaient généré une atmosphère de “situation d’exception” avec une attaque généralisée des “droits démocratiques” qui ne s’était jamais produite depuis la dictature. La maire indiqua que ses plus grandes inquiétudes ce jour-là étaient dues à l’action extrême et inhabituelle des forces de police qui ont attaqué sans distinction indépendantistes ou non indépendantistes. Elle a insisté sur le fait que la journée de protestation du 20 septembre 2017 avait été aussi calme que n’importe quelle des nombreuses manifestations de toutes sortes qui se déroulent de manière permanente à Barcelone. Et elle a justifié les mobilisations spontanées et généralisées du fait du caractère inquiétant et sérieux de l’intervention de la police: perquisitions des ministères catalans, arrestation de hauts fonctionnaires de la Generalitat, tentative de la police d’entrer dans un parti politique (CUP) sans mandat judiciaire, perquisitions de plusieurs journaux, contrôle du courrier…

L’ancien ministre de l’Intérieur de Rajoy Juan Ignacio Zoido a présenté une image pitoyable. Il a avoué ne rien savoir des mesures prises par l’intervention de la police, ni avoir conçu, coordonné ou donné une directive générale, ni donné d’instructions, ni même commandé les dispositifs de sécurité exceptionnels des 6 000 guardies civils et policiers envoyés en Catalogne. Il a fait reposer la responsabilité des évènements sur le secrétaire d’État à la Sécurité, les services techniques du ministère et le coordinateur Pérez de los Cobos envoyée à Barcelone. Des réponses très vagues, contradictoires, peu cohérentes ou convaincantes. Il a accusé les responsables des Mossos de ne pas avoir collaboré et la police catalane d’avoir simulé des interventions. Zoido a également expliqué que le gouvernement espagnol avait rejeté la demande de la Generalitat d’acheter des armes et des munitions, y compris de guerre, de la part de la police catalane (demande faite après les atentats terroristes de l’été 2017).

Au chapitre des irrégularités, les familles ont protesté contre les obstacles que la police avait mis pour communiquer avec les prisonniers lors du procès et l’un des accusés, Carles Mundó, a déposé une plainte pour les mensonges du procureur lors de son interrogatoire.

Jeudi 28 février, pour la première fois, le Tribunal constitutionnel a statué sur la demande de libération des indépendantistes en la rejetant ; Jordi Sànchez et Jordi Cuixart (après que Carme Forcadell eut interjeté appel devant la Cour européenne) ont donc déposé un recours devant le Tribunal de Strasbourg.

Au terme des trois premières semaines du procès, les analystes dressent le bilan de la “première phase du procès” au cours de laquelle ils révèlent plusieurs anomalies avérées. La première est le caractère absolument “politique” du procès, du point de vue des déclarations des accusés et des témoins, ainsi que du fait du contenu des accusations qui n’ont pas fourni la moindre preuve des accusations (rébellion, sédition et détournement de fonds). En outre, les observateurs internationaux d’International Trial Watch continuent de dénoncer le fait que le tribunal ne les autorise pas à faire leur travail. Devant des situations d’exception en Espagne, les témoignages des principaux responsables gouvernementaux ont montré à quel point, de manière surprenante, ni le président, ni la vice-présidente, ni même le ministre de l’Intérieur n’ont assumé la responsabilité des mesures répressives et des violences policières. Ils ont déclaré ne pas se souvenir des détails des dispositifs déployés en Catalogne. Quant aux interrogatoires menés par les accusations, ils ont révélé le manque de préparation, leur partialité, leurs erreurs flagrantes ou leur mauvaise foi. Les débats ont consisté la plupart du temps à reprocher l’organisation des manifestations et à l’échange de tweets, autant de droits fondamentaux et d’expression d’un pays démocratique. Enfin, la plus importante des anomalies est probablement l’absence du responsable maximum de la Catalogne, le président démis Carles Puigdemont, exilé en Belgique où il est libre de ses mouvements et inculpé en Espagne. Le Tribunal Suprême n’a même pas autorisé son témoignage à distance et, chaque jour, le président Marchena a tendance à limiter de plus en plus ou à empêcher la projection d’images de la violence policière dans la salle ou des documents demandés par la défense. Le procès doit se poursuivre durant de nombreuses semaines encore, pratiquement sans que l’opinion espagnole en soit informée ni que les médias en fassent état (le procès n’estt retransmis que par la télé catalane) et dans une souffrance et une fatigue grandissantes des prisonniers qui restent privés de liberté et font des journées de 15h entre leurs cellules et le tribunal, et alors que les familles ne peuvent pratiquement pas voir les accusés et doivent parcourir des centaines de kilomètres entre la Catalogne et Madrid.

Alà Baylac Ferrer