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Les Corts Catalanes

Il y eut un changement dans la continuité: pas de révolution.

Les conciles, autrefois convoqués par les évêques, le sont maintenant par le comte de Barcelone. Les règlements écrits par l’Eglise à la fin des conciles, sont réécrits par les conseillers du souverain catalan en termes juridiques valables pour tout le pays. Le pouvoir laïque prend le relais de l’église. Ainsi on change la dénomination : on passe de la Trêve de Dieu à la « Paix et Trêve de Dieu », en catalan « Pau i Treva de Déu ». Dès 1060, le comte de Barcelone Ramon Berenger Ier et son épouse Almodis, rédigent les premiers textes qui prennent le nom de « Usatges de Barcelona ». Lisons d’abord les dispositions que le couple prend :

« Qu’il soit tenu des corts et un grand conseil. Qu’il soit donné à manger à chacun. Que chacun soit rétribué pour sa tâche. Que les lois de l’Etat soient toujours améliorées. Que les souverains soient droits, qu’ils jugent suivant le droit, qu’ils défendent le peuple, qu’ils secourent les opprimés, qu’ils fassent savoir qu’ils ouvrent leur table à tous leurs sujets sans distinction, qu’ils partagent leurs vêtements entre les grands et leur suite ».

L’Usatge N° 62 étend

« la Paix et Trêve aux chemins terrestres et maritimes à tout homme à cheval, marchand et piéton. Les personnes qui les violentent devront acquitter le double du préjudice commis ».

Ce n’est pas une ordonnance royale imposé par le souverain, c’est le fruit d’une lente élaboration partagée et acceptée  par le peuple.

Enfin en 1214, ces assemblées de nobles, de clercs et de bourgeois, prennent le nom officiel de « Corts Catalanes », c’est le Parlement des Députés. Avant d’être couronné, le nouveau souverain (qui en principe succède à son père comte de Barcelone et roi d’Aragon) se présente devant les Corts Catalanes ; son président déclame :

« nous qui séparés valons autant que vous, et qui unis valons bien davantage, nous vous faisons roi à condition que vous respectiez nos Usatges, sinon non ».

Texte incroyable et pourtant vrai… inimaginable dans le royaume de France puisque le roi a reçu son pouvoir de Dieu et non des députés représentant le peuple !

Comment sont annoncés la date et le lieu des Corts ? Comment sont rédigées les convocations ? Elles sont adaptées au destinataire : une pour l’archevêque de Tarragona (président de la classe des Ecclésiastiques), une autre pour le comte de Cardona (président de la classe de la Noblesse), une autre pour chaque ville royale. (En Roussillon, les villes royales sont : Salses, Perpignan, Céret, Vinça, Prats de Mollo, Collioure, Argelés…)

Lors des Corts Catalanes, le souverain en personne inaugure la session. Il prononce la « proposició » ; c’est le discours d’ouverture dans lequel il développe les problèmes à régler, en politique intérieure et en politique extérieure. Dès lors, les députés (entre 200 et 300) forment plusieurs commissions mixtes qui étudient chacun des problèmes : nobles, clercs et bourgeois des villes royales parlementent autour d’une table. Dans chaque commission, un « modérateur », représentant le roi, écoute les discussions ; chacun d’eux rapporte au roi installé dans une demeure voisine l’état d’avancements de chacune des commissions. On imagine les débats au sein des commissions mixtes pour tenter d’accorder les intérêts divergents des uns et des autres : le noble qui veut régler les problèmes avec son armée, le clerc qui refuse les morts et les blessés, le bourgeois qui ne veut pas perdre ses clients ! Après de longues discussions (un jour ou un mois parfois), un compromis est en vue. En fin de session, c’est-à-dire quatre à cinq semaines plus tard, ces textes sont lus devant l’assemblée plénière des députés et votés à main levée. Le souverain, qui n’a pas assisté à ces réunions mixtes, pose la main sur la bible et s’engage à respecter ces nouvelles lois. L’ensemble de ces textes forment un livre : les « Constitucions de Catalunya ». Le peuple catalan a mis en place une monarchie constitutionnelle.

Dans le royaume de France, il existait des Parlements ; mais ils rendaient la justice en appel (souvent) et se contentaient d’enregistrer les ordonnances royales ; c’est le cas de quelques villes comme Toulouse en 1443, Bordeaux en 1462, Rennes en 1551, etc. Donc, aucun point commun avec les Corts Catalanes (un Parlement donc) dont les députés rédigeaient des lois.

Précisons que les Corts Catalanes se réunissent tous les trois ans, que la session dure environ quatre à cinq semaines et chaque fois dans une grande ville différente : Barcelona, Perpinyà, LLeida, Tortosa, Girona. Il y avait aussi des « Corts Generals » qui rassemblaient les députés de la Catalogne, de l’Aragon et de Valencia, mettant en pratique le système d’une Confédération.

Extrait du livre “Histoire du pays catalan” Joan Villanove