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La consultation sur l’indépendance de la Catalogne aura-t-elle lieu ?

Le Monde.fr |  • Mis à jour le  |Par Anne-Aël Durand

Campagne pour l'indépendance de la Catalogne à Vic, près de Barcelone.

« Personne ne doit avoir peur », a assuré mercredi le président de la Catalogne, Artur Mas, en annonçant le maintien de la consultation publique sur l’indépendance de cette communauté autonome, prévue dimanche 9 novembre. Pourtant, la fermeté du gouvernement espagnol fait peser de sérieuses menaces sur les organisateurs du scrutin. Explications.

Lire l’analyse (en édition abonnés) : La voie étroite d’Artur Mas

  • Un référendum qui ne dit pas son nom

Depuis décembre 2013, le dirigeant nationaliste catalan Artur Mas avait annoncé la tenue d’un référendum, pour poser au peuple catalan deux questions : « Voulez-vous que la Catalogne devienne un Etat ? » Et si oui, « voulez-vous que cet Etat soit indépendant ? ».

Malgré la pression populaire, exprimée lors d’une grande manifestation le 11 septembre, et l’exemple écossais, le gouvernement espagnol de Mariano Rajoy est resté inflexible. Il a saisi le Tribunal constitutionnel, qui a suspendu le référendum le 29 septembre, considérant qu’un vote qui n’incluait pas l’ensemble des citoyens du pays était illégal.

Passant outre, la Catalogne a choisi de maintenir à cette date un « processus de participation », c’est-à-dire une consultation symbolique, qui n’a pas de valeur légale.  Ce vote, désigné sous le nom de « 9-N », était ouvert à tout citoyen de plus de 16 ans résidant en Catalogne (y compris les étrangers), soit potentiellement 5,4 millions de personnes. Mais il a été bloqué mardi 4 novembre par le Tribunal constitutionnel. Une suspension temporaire, avant un examen sur le fond prévu dans un délai de cinq mois.

  • Les recours de la Catalogne rejetés

Le Generalitat (gouvernement catalan) a aussitôt formulé un recours auprès du Tribunal suprême, considérant que le gouvernement de Mariano Rajoy avait commis un « abus de pouvoir » et porté atteinte à la liberté d’expression des citoyens catalans. Mais ce dernier s’est déclaré jeudi incompétent sur la question.

Les principaux partis pro-indépendantistes, dont le parti conservateur Convergencia i Unio d’Artur Mas, et la formation de gauche ERC, ont également sollicité par lettre l’intervention de l’ONU ou de l’Union européenne pour défendrecette « liberté d’expression » et le droit à « décider son avenir de manière démocratique ».

  • Une élection sans bureaux de vote

Le blocage de la consultation par le Tribunal constitutionnel interdit toute implication de la Generalitat dans l’organisation du vote. S’il est difficile de revenirsur les actions déjà entreprises (site Internet d’information, envoi de courriers de convocation), le préfet de Catalogne a rappelé que tout recours aux moyens de l’Etat serait considéré comme illégal.

Un courrier a été adressé mercredi aux instances chargées du scrutin, mais aussi au département de l’éducation. En effet, c’est principalement dans les écoles, collèges et lycées de 900 communes de la région que des bureaux de vote devaient être installés. Les 6 000 fonctionnaires qui devaient encadrer ce référendum devront y renoncer, s’ils ne veulent pas être poursuivis pour « désobéissance civile », un délit qui pourrait leur coûter leur poste.

  • Pas de poursuites pour les bénévoles et les votants

Les organisateurs du scrutin risquent de devoir déployer leurs urnes dans la rue, et devront s’appuyer uniquement sur les bénévoles réunis au sein de l’Assemblée nationale catalane. Leur nombre est estimé à 41 000, et les organisateurs espèrent atteindre les 100 000 à la fin de la semaine.

Lire le reportage (en édition abonnés) : En Catalogne, la ville de Vic prête à la désobéissance civile

Des consultations populaires ont déjà été organisées via des plateformes citoyennes en Catalogne, sans entrave juridique. Ainsi, en 2009, 200 000 personnes avaient voté massivement pour l’indépendance.

Le ministre de la justice, Rafael Catala, a confirmé jeudi (lien en espagnol) que les bénévoles organisateurs et les participants au « référendum » ne seraient pas poursuivis. « Dans une société démocratique comme l’Espagne, il y a chaque jour des mouvements populaires et des collectes de signatures », a-t-il déclaré.

  • La police catalane suivra les ordres de Madrid

Les « Mossos d’esquadra » (« jeunes hommes d’escadron », en français), qui sont les représentants de l’ordre en Catalogne, sont mobilisés en masse. Ils seront 6 992 en fonction dimanche, soit 5 000 de plus qu’un week-end ordinaire. Ramon Espadaler, le conseiller catalan à l’intérieur, assure qu’ils n’interviendront pas dans le processus électoral, mais qu’ils « suivront les ordres des juges et du ministère public », si on leur demande d’empêcher la tenue du scrutin (lien en espagnol).

  • Le gouvernement catalan sous pression

A trois jours d’une consultation qui s’annonce de grande ampleur, le gouvernement de Mariano Rajoy ne peut pas prendre le risque politique de tout interdire et defaire usage de la force. En revanche, la « ligne rouge » qui pourrait déclencher des sanctions serait l’implication directe de la Generalitat et de son administration.

Artur Mas risquerait alors d’être poursuivi pour « désobéissance civile », ce qui le rendrait inéligible. Selon des juges espagnols, il pourrait même être taxé de « sédition » s’il utilise les Mossos pour encadrer l’élection. La peine s’élève alors à quinze ans de prison.

Dans l’hypothèse où la Catalogne agirait directement pour organiser ce référendum, en utilisant des moyens de police, des écoles ou autres lieux publics, Madrid pourrait invoquer l’article 161 de la Constitution de 1978, et reprendredirectement le pouvoir de la Communauté autonome (notamment en matière de sécurité et d’éducation).

Si Artur Mas a désormais les mains liées, il espère une victoire du « oui » à l’indépendance avec une forte participation, afin de pouvoir faire pression sur Madrid. Il a déjà annoncé son intention d’envoyer lundi une lettre à Mariano Rajoy pour « faire le bilan » de la consultation de dimanche et demander un « référendum définitif ».

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