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Le Devoir (Quebec)

 

La démocratie espagnole, un oxymoron?

La légalité espagnole contre la démocratie catalane

 

18 septembre 2014 | Agustí Nicolau-Coll – Géographe et historien d’origine catalane, vice-président du Cercle culturel catalan du QuébecEurope

 

 

Le 11 septembre, galvanisés par la campagne écossaise, les Catalans ont réclamé un référendum.
Photo: Quique Garcia Agence France-PresseLe 11 septembre, galvanisés par la campagne écossaise, les Catalans ont réclamé un référendum.

 

 

Le refus du gouvernement espagnol et de la grande majorité des forces politiques espagnoles de reconnaître le droit du peuple catalan à être consulté sur l’avenir politique de la nation fait que l’expression « démocratie espagnole » ressemble chaque fois plus à un oxymoron.

Face à la triple régression (politique, culturelle-linguistique et économique) que la Catalogne vit depuis 10 ans aux mains de l’État espagnol, le Parlement de la Catalogne a pris majoritairement la décision de tenir une consultation (à ne pas confondre avec un référendum) le 9 novembre sur l’avenir politique de la Catalogne. Tout de suite, le gouvernement de Madrid et la grande majorité des forces politiques espagnoles ont manifesté leur refus et leur opposition à cette initiative, et cela, au nom de la légalité constitutionnelle de 1978. Pour ceux-ci, le peuple catalan n’aurait pas le droit d’exprimer son opinion sur son avenir politique et la forme institutionnelle dont il désire se doter : que ce soit le maintien de l’autonomie actuelle, la constitution d’un statut d’État fédéré ou l’indépendance. La peur que ce soit la troisième option qui l’emporte alimente encore plus leur opposition, droite et gauche confondues, qui ne comprennent pas qu’elles font face à un mouvement populaire qui a poussé les politiciens.

La loi contre la démocratie

Leur argument est que la Constitution ne reconnaît pas d’autre sujet politique de droit collectif que le peuple espagnol. Le peuple catalan n’étant pas un sujet politique reconnu par la loi constitutionnelle, il ne peut pas exercer de droits politiques différenciés. Dans le meilleur des cas, ce serait à tout le peuple espagnol, en tant que seul dépositaire de la souveraineté, de décider de l’avenir politique de la Catalogne.

Pour défendre ce point de vue, ils invoquent, comme un livre sacré, la Constitution de 1978, qui serait l’expression pure de la volonté démocratique du peuple espagnol, y compris les Catalans. Toutefois, cette Constitution fut rédigée et approuvée dans des conditions politiques très particulières et exceptionnelles.

La Transition démocratique espagnole, entamée en 1977, a eu lieu sans aucune rupture claire avec la dictature franquiste : la totalité des personnes qui l’ont activement soutenue et incarnée non seulement n’ont pas dû rendre de comptes, mais se sont intégrées librement dans la nouvelle situation politique. D’anciens ministres et députés franquistes ont poursuivi leur carrière politique et ont eu une grande influence sur la rédaction de la Constitution ; avec l’aide et l’appui de la grande majorité des cadres militaires, clairement franquistes eux aussi. Ils ont réussi à imposer l’article 2 qui proclame l’indissoluble unité de l’Espagne, et l’article 8 définissant leur mission de garantir et de défendre leur intégrité territoriale, au risque de voir le processus bloqué si cela n’était pas accepté par les députés législateurs.

Du reste, l’approbation de la Constitution de 1978 a été la seule option offerte à la population pour couper, quoique partiellement, avec la dictature.

Or, cette Constitution est utilisée comme arme légale contre la volonté démocratique.

La nation catalane n’est pas née en 1978

Par ailleurs, la nation catalane en tant que réalité historique culturelle, linguistique et politique existe bien avant celle de l’Espagne. La Generalitat (nom du gouvernement de la Catalogne) existe depuis 1359, ayant déjà une forte orientation démocratique exemplaire pour l’époque. Ce n’est pas la Constitution de 1978 qui a donné naissance à la réalité politique, culturelle et nationale catalane. De plus, les institutions politiques propres de la Catalogne furent abolies par la force en 1714.

Pendant 35 ans, la Catalogne a contribué à la démocratisation et à la gouvernabilité de l’Espagne, en espérant que l’État espagnol reconnaîtrait sa plurinationalité et s’organiserait en conséquence. Toutefois, et surtout depuis 2010, avec l’annulation substantielle par le Tribunal constitutionnel du nouveau statut d’autonomie de la Catalogne approuvé en référendum par le peuple catalan en 2006, tous les espoirs ont été déçus. La grande majorité des Catalans voient l’État espagnol comme un ennemi prêt à tout pour réduire la réalité nationale de la Catalogne à une simple expression folklorique. Le démontrent, entre autres, la saignée économique permanente, les lois contre l’immersion linguistique scolaire et l’empiétement sur des compétences exclusives.

Un dialogue impossible

Après 35 ans de pacte constitutionnel, nous perdons progressivement les moyens d’exercer notre autonomie politique, comme vient de le dire le président Artur Mas au Parlement catalan. L’État espagnol a rejeté toutes les initiatives catalanes : le statut d’autonomie de 2006, le pacte fiscal et la consultation sur son avenir politique. Les Catalans sont fatigués de l’attitude hostile de l’État espagnol.

Pendant que la Catalogne parle d’un possible divorce à l’amiable, si le peuple le décide, le pouvoir espagnol considère qu’il ne peut pas y avoir de divorce puisqu’« il n’y a pas deux parties en conflit ». Il préfère parler d’« amputation » d’un des membres d’un seul corps. Il refuse de dialoguer, refuse que les Catalans puissent voter, menace le peuple catalan s’il ose tenir la consultation… Il est clair que ce n’est pas David Cameron qui est le premier ministre de l’Espagne. Pendant que les Écossais votent aujourd’hui [jeudi] pour décider de leur avenir politique, le ministre espagnol des Affaires extérieures, José Manuel García-Margallo, menace de suspendre l’autonomie catalane et son Parlement si celui-ci et le gouvernement décident de tenir la consultation du 9 novembre. De son côté, Mme Esperanza Aguirre, une des leaders du Partido Popular, déclare sans vergogne qu’installer les urnes le 9 novembre serait une action antidémocratique… « Espagne démocratique », vous dites ? Cela s’apparente à un oxymoron d’une improbable poésie politique… que les 1,8 million de Catalans, sortis le 11 septembre dernier dans les rues de Barcelone pour réclamer leur droit de voter, ont mis en évidence.